5 - Sous l'oeil du cyclope

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Ville de Langkah

Secteur Extra-Muros


« Je suis mal barrée ».

Nerveuse, Marie essaie de reprendre son souffle pour calmer ses genoux qui tressaillent. Tout est allé très vite, des mains gantées se sont saisies d'elle pour la précipiter dans l'habitacle sombre d'un glisseur blindé. Le véhicule a démarré en trombe, sans lui laisser le temps de s'habituer à la pénombre de la cabine. Ce qui est certain, c'est qu'Alexandre n'est pas avec elle. Marie est encadrée par deux colosses couverts d'écailles en céramique qui la dominent de deux bonnes têtes. L'atmosphère de l'habitacle est suffocante, à moins que ce soit la présence oppressante des géants en armures qui comprime la poitrine de Marie. Elle a le sentiment d'être coincée entre les statues difformes de scarabées humanoïdes et cette proximité l'angoisse. Devant, deux autres soldats engoncés dans leurs exosquelettes attendent sans broncher. L'habitacle est si exigu que les titans se touchent presque, casque contre casque, genouillères contre genouillères, fusil d'assaut contre fusil d'assaut. Entre eux, un militaire simplement habillé d'une armure d'impact est calé sur son siège. Comparé à ses collègues, il a l'air chétif, presque fragile, du moins en apparence, car Marie reconnaît facilement l'écusson plaqué sur son col : un triangle équilatéral rouge, tout simple, entouré de trois étoiles argentées. Si le commandant Carter-Yuko — tel que l'indique la broderie amovible sur sa poitrine gauche — est bien un chef de la garde rapprochée de l'Amirauté, Marie se tient face à l'un des soldats d'élite de la colonie.

La jeune femme lève les yeux au plafond. Il est particulièrement bas, ce qui accentue la sensation d'étouffement. La cabine est minuscule, séparée physiquement du poste de pilotage par une paroi opaque. La lumière du jour filtre à peine au travers des meurtrières latérales et laisse vaguement deviner les rues qui défilent à toute allure. Un faible rayon lumineux passe sur les casques immaculés des militaires, comme un stroboscope, mettant en avant les arrêtes acérées des armures d'assaut. Les colosses sont immobiles, enchâssés dans leurs alcôves étroites qui les maintiennent en place malgré les virages secs pris par le véhicule. Bizarrement, l'ambiance est calme, les bruits des sirènes et le ronflement des turbines sont étouffés, comme si les occupants se trouvaient dans une bulle d'ouate qui traverse une atmosphère lourde et épaisse.

— Mademoiselle de Glaz ? Excusez-moi mademoiselle, allez-vous bien ?

Tirée de sa torpeur, Marie dévisage le militaire qui lui sourit. Il s'est penché légèrement dans sa direction pour lui parler, sortant sa tête de l'ombre portée par le plafond bas de la cabine. L'homme est sec, les cheveux bruns coupés ras, et accuse des fossettes pointues qui rehaussent l'arête effilée de son nez.

— Permettez-moi de me présenter, annonce le soldat coincé entre les deux fantassins en armures. Je suis le commandant Henry Carter-Yuko, en charge de la Brigade de Contrôle des Indivis.

Marie acquiesce. La fameuse brigade des Indivis, le peloton d'élite de l'armée est donc bien sur le coup. Même le chef de cette police spéciale s'est déplacé. Ne recevant aucune réponse, le militaire se redresse, continuant à sourire et lisse sa manche gauche du dos de la main pour chasser une poussière.

— Vous avez de la chance, ajoute-t-il sur un ton laconique en terminant son geste. Votre module réseau était connecté, nous avons pu vous retrouver et vous extraire rapidement de ces ruines.

— Je ne comprends pas, marmonne Marie en reportant les yeux vers les minces fenêtres du véhicule.

Ce glisseur la rend dingue. L'habitacle est très sombre, particulièrement exigu et le grondement étouffé des turbines commence à lui faire mal au crâne.

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