Épilogue - TURBA

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Deux Mois-Equivalent-Terre après la destruction du Vaisseau-Capsule 3

205e Année-Equivalent-Terre après le crash de Phoenix

Colonie de Langkah


Le soleil tape sur la ville assoupie, sans brise légère pour rafraîchir l'atmosphère. Le nuage de poussière est retombé depuis longtemps, mais les robots d'entretien luttent toujours pour dégager les dernières rues de Langkah de la suie et des particules métalliques qui se sont faufilées partout. Au loin, deux vaisseaux-capsules se dressent fièrement dans la chaleur, flèches d'argent improbables au milieu de la plaine, mais les vestiges de la troisième renvoient encore aux terribles évènements qui ont eu lieu deux mois plus tôt.

Depuis les hauteurs des quartiers Extra, le spectacle est saisissant : deux langues de métal plantées au centre d'un cratère noir se tordent dans le ciel. Elles résistent et tiennent debout, comme par miracle. La trappe qui mène au toit de l'immeuble s'ouvre et Marie se hisse sur la plateforme, deux chaises en toile sous le bras. Elle chasse un peu de poussière accumulée sur la terrasse et déplie les sièges à proximité de la corniche. Marie porte enfin la main en visière et regarde en direction des restes de la capsule 3 : le temps est magnifique, parfait pour l'occasion. Elle sent un bras s'enrouler autour de ses épaules.

— Alors duchesse, l'endroit te plaît ?

— Ouaip, Justine, on est aux premières loges, sourit Marie en donnant un coup de coude affectueux à son amie.

Elle se tourne vers Justine qui se laisse tomber dans le premier fauteuil.

— C'est vrai qu'on est bien, affirme-t-elle en croisant les mains derrière la nuque et en allongeant les jambes.

La jeune Extra-M s'est remise de ses blessures rapidement, malgré la prothèse mécanique qui lui monte jusqu'au-dessus de la hanche.

— Tu veux vraiment le faire comme ça ? demande-t-elle à Marie.

— Oui. Rien que d'imaginer la gueule de Carter-Yuko... Ça va être mémorable, dit-elle en réajustant son cache-poussière.

— Faut dire qu'il le mérite, cet enfoiré.

— Dites donc, vous auriez pu amener un autre fauteuil, s'écrie Samuel dans leurs dos.

— T'es pas assez grand pour le faire toi-même ? taquine Marie.

— C'est moi qui ramène les boissons, râle-t-il en arrivant à leur hauteur.

Il tend des bouteilles fraîches aux deux jeunes femmes, tandis qu'un robot hirsute gambade à ses pieds. La machine se dresse sur sa paire de pattes et tape ses pinces entre elles, tout en produisant des vocalises incompréhensibles. Un écran se dresse sur son corps, affichant un visage humanoïde stylisé juste au-dessous de caméras de visée.

— Ça commence quand ? demande SVP en portant le goulot d'une bouteille à ses lèvres.

— Maintenant ! répond Marie en pointant la base des vestiges de la capsule.

L'air devient flou et se pare de couleurs cuivrées, puis une ombre se forme et l'hologramme du commandant Carter-Yuko vêtu de son armure d'impact légère se déploie au-dessus de la ville. L'image est immense, elle est clairement visible de toute la colonie.

— Quel mégalo, quand même, réagit Justine lorsque la vidéo s'anime.

— C'est clair, acquiesce Marie, depuis qu'il a réussi à renverser l'amiral avec son opération Horizon, il se prend pour le patron.

— Dans les faits, il n'a pas tort, remarque SVP en se raclant la gorge. Il contrôle effectivement toute l'armée. Et pour sa première intervention publique, il veut que tout le monde en ait conscience.

« Mes chers amis ! » tonne la voix de Carter-Yuko à travers la ville. « Après les moments dramatiques que nous avons vécus, je devais vous informer de notre condition difficile. L'inconséquence de l'ex-amiral McDongle nous a mis dans une situation délicate. Pire, les mensonges savamment organisés depuis des dizaines d'années pour nous maintenir dans l'ignorance ne pouvaient être pardonnés ! Ce tyran nous cachait à tous l'existence de l'Éléphant, c'est un véritable acte de trahison qui imposait de le déposer ! Cette décision n'a pas été facile... »

— Quelle merde ! s'exclame Justine en tapant du poing.

— Du calme, ajoute SVP en sirotant sa bière. Tu t'attendais à quoi ? Ce mec est une enflure et il est en train de se donner les pleins pouvoirs.

L'hologramme continue sa litanie : « ... reconstruction de notre colonie, pour prendre un nouveau départ. La découverte de l'Éléphant à quelques heures de glisseurs de la ville va nous permettre de pallier nos besoins, le temps de mater la rébellion des plateformes de Panas et Dingin... »

— Toi qui voulais être transporteur, rigole SVP à l'attention de Marie, et bien ça ne sert plus à rien.

— T'as plus de boulot non plus, remarque la jeune femme.

— Mais suffisamment de barrettes pour voir venir et faire des choses un peu plus avantageuses, renchérit Samuel.

Le module personnel de Marie se met à biper.

— C'est mon père, annonce-t-elle en regardant l'écran. Il me dit que tout est au vert : on peut y aller.

— Okay. Acquiesce Justine en claquant la langue. Au fait, pourquoi il est retourné là-bas ?

— Mes parents se sentaient plus utiles à la reconstruction de la ville. Ils n'ont plus aucune habilitation, mais pour l'instant, Carter-Yuko a besoin de gens comme eux.

— Ça ne doit pas être de tout repos.

— Non, mais ils ont changé. Ces derniers temps, mon père a beaucoup bossé pour faire sortir Alexandre. Aux dernières nouvelles, il va être lavé de tous soupçons... Avec la disparition de mon oncle et de ma tante, il a envie de se racheter, il va tout faire pour le soutenir... Et puis, avoue, ajoute-t-elle avec un clin d'œil, ça a du bon, d'avoir nos entrées aux capsules... Allez, Samuel, tu peux balancer le programme !

— À vos ordres, mademoiselle de Glaz ! Lui répond SVP en singeant un salut militaire.

Il pose la bouteille sur le sol et s'adresse au robot à ses pieds :

— Vas-y ma belle, montre-lui ce que tu as appris ces dernières semaines !

— DaDa ! lui lance la machine sur un ton joyeux.

Les trois jeunes gens se tournent vers l'hologramme de Carter-Yuko, Marie sourit et se laisse basculer contre le dossier. « C'est pourquoi, je vous le dis maintenant, les yeux dans les yeux... » rugit l'immense image. Mais la vidéo saute et le son crépite. Une musique de crécelle envoûtante remplit l'atmosphère au-dessus de Langkah. Le visage du commandant gonfle, il se pare de rides grisâtres, tandis que son nez enfle et que ses oreilles deviennent démesurées. Un éléphant menaçant en armure militaire scrute désormais chaque rue de la ville, comme une baudruche prête à éclater. La mélodie déraille encore une fois et le cliquetis tinte de plus belle. « Carter-Yuko vous ment ! » tonne une voix d'outre-tombe. « Carter-Yuko vous ment ! Il était au courant pour l'Éléphant. Rappelez-vous : un éléphant, ça trompe énormément. Ne vous laissez pas aveugler par son discours ! » Puis l'hologramme s'obscurcit et la silhouette noire sur contour rouge d'un homme s'affiche. La voix continue : « Moi, Prosope, j'en fais le serment. Nous vous apporterons la preuve de ce mensonge, pour que nous puissions, tous, prendre en main notre destin. Nous aurons le choix. Ensemble, soyons TURBA. »

TURBAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant