Chapitre 1

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LIV

Le bruit déchirant du scotch emplis la pièce lorsque je tire dessus pour en prendre un dernier bout. Le son n'en est que plus dense dans cette chambre à présent vide de mobiliers. J'ai commencé il y a deux semaines, et je termine ce matin de finir d'emballer minutieusement mes affaires. Aujourd'hui je déménage. Aujourd'hui je quitte ma chambre. Aujourd'hui je suis triste. Je n'ai pas envie de partir. Pas envie de quitter ma maison, mon lieu de vie, mes habitudes.

Assise en tailleur sur le sol, deux mains posées sur mon dernier carton empaqueté, je revis silencieusement mes souvenirs de plusieurs soupires. Mes soirées pyjamas, ma chute près de la porte après avoir couru dans toute la maison pour échapper à Davis; mon grand frère. À mon premier baiser sur mon lit, qui était jusque là installé dans l'angle près de ma fenêtre, au fond à droite. Ce qui n'est pas le cas de ma première fois, mais bizarrement, j'y pense quand même.

Je n'ai que vingt-deux ans.

Mais j'ai l'impression d'en avoir vécue vingt de plus.

C'est troublant.

Des pas s'approchent de ma porte et mon père apparaît à l'encadrement de la porte lorsque je relève la tête. Il me sourit. Et ses petites pattes doigts d'homme de la quarantaine s'accentuent. Je lui rend son sourire, quoi qu'un peu forcé. Il me demande si ça va. J'ai envie de lui hurler dessus, de lui dire que je ne vais pas bien, que je ne veux pas partir, que je voudrais défaire mais cartons et pleurer toute les larmes de mon corps. Mais je sais aussi à quel point ça lui ferait de la peine. Alors je hoche la tête, pour le rassurer. Il me sourit encore, mais cette fois, il décide de me rejoindre pour s'asseoir à côté de moi sur le plancher. Non sans mal, une main sur le sol, l'autre sur son genou qui grince puis craque, il se pose près de moi et me bouscule doucement avec son épaule.

Je ris doucement.

- Tu as terminé de tout emballer ? Demande-t-il.

Sa voix n'est pas claire. Il sait que ça ne va pas. Il me connait.

Mais je fais comme si ça allez.

- Et oui, absolument tout.

- D'accord.

Je soupire discrètement, puis lève les yeux vers ma fenêtre quand une question me vient.

- Mes meubles sont arrivés à destination, sans accroche ?

Mon père rit.

- Oui, ils sont déjà installés.

J'acquiesce d'un hochement de tête.

Un silence pesant nous enveloppe. J'en ai le souffle coupé. La base de mon cou se resserre. Se compresse. J'ai mal. Tellement mal. Ça ne va pas papa. J'ai envie de lui demander si je ne peux pas rester. S'ils ne peuvent pas renoncer à ce déménagement. Mais je connais la réponse. C'est impossible. La maison est déjà vendue. Et mon trajet de non retour est tracé.

La large main de mon père se pose sur mon épaule, il y prend appuis pour se lever. Je le suit du regard, l'observe. Lui sourit encore, pour ne pas qu'il se sente coupable de m'obliger à quitter la maison. Et s'en va après m'avoir demandé de descendre mon dernier carton. Mon ultime carton qui videra pour de bon ma chambre.

Mon ancienne chambre.

J'attrape mon téléphone en le sentant vibrer.

Davis : T'es prête ?

Moi : Oui, je dois descendre le dernier carton.

Davis : T'en as beaucoup ?

Moi : Six cartons, deux sacs, et mon sac à main, c'est tout. Le reste est chez toi.

Nothing more, nothing lessOù les histoires vivent. Découvrez maintenant