La Source Perdue

Chapitre II

      Tout le monde était là. Le Roi, la Reine, les princes, la princesse, le Gouverneur des Îles de l'Est, sa femme, et son fils aîné le jeune seigneur Odrik. Le Gouverneur et sa femme, en tant qu'invités d'honneur, siégeaient aux côtés du couple royal. Après seulement, venaient le père d'Alma et Bankshi, qui arborait son sourire hypocrite. Pathétique. Le pire dans tout cela c'est que les invités la trouvaient "charmante" et "resplendissante". Rien que d'y penser Alma en avait la nausée. Bankshi n'était pas la mère d'Alma. Celle-ci était morte alors qu'elle n'était qu'une enfant. Son père s'était remarié avec cette sorcière et il avaient eu un fils, Talek. Alma avait toujours détesté Bankshi et le sentiment était partagé. Elle s'était accaparé sa vie et son père, rabaissait Alma tout le temps mais cédait absolument tout à Talek, son petit trésor, qu'elle comptait bien marier avec la princesse d'ailleurs. A la table la plus proche, la seule autre qui se trouvait sur l'estrade qui surplombait la salle, se trouvaient les princes, la princesse, Odrik, Alma, Talek et autres fils et filles de gens importants. En bas se trouvaient tous les gens de la cour et autres invités qui avaient prit place à un dédale de tables entre lesquelles les domestiques se faufilaient tant bien que mal, les plats en équilibre sur leurs maigres bras.

      Alma se tourna vers la table de Leïla, lui adressant un regard désespéré. Le jeune seigneur Odrik ne lui avait pas adressé la parole depuis le début du repas, il se vantait et montrait à Talek pour la centième fois au moins la dague que son père lui avait offerte, maintenant qu'il était devenu un homme. Alma pouvait la décrire dans ses moindres détails tant il l'arborait. Malgré ses tentatives elle n'avait toujours pas réussi à lui dire quoi que ce soit, et c'était tant mieux, peut être qu'il s'en fichait après tout. Leïla lui répondit par un regard insistant qui lui criait de lui dire quelque chose. Mais s'il la trouvait inintéressante? Si jamais elle l'ennuyait? A bien y réfléchir, il était plutôt ennuyeux lui aussi... Mis à part sa beauté, qui n'était pas qu'une légende, il avait tout l'air d'un enfant. Un enfant qui se vantait d'avoir le plus beau jouet.

        Elle s'apprêtait à lui répondre d'un autre regard, comme elles le faisaient si bien toutes les deux mais Lela avait déjà détourné la tête, les joues légèrement roses. C'est alors qu'elle le vit; le jeune homme qui les avait dépassées ce matin au marché. Il travaillait bel et bien au château et ce soir il était de service. Leïla l'avait vu aussi, d'où son embarras. Alma eut un petit sourire. Sa suivante l'encourageait à parler aux garçons et devenait de marbre quand c'était son tour. Maintenant qu'elle le voyait de face, ce visage lui disait quelque chose. Elle avait sûrement dû l'apercevoir au détour d'un couloir. Ses yeux d'un bleu perçant ne s'oubliaient pas facilement. Quand le jeune homme croisa son regard, il inclina légèrement la tête en signe de respect, comme un Manarien se doit de respecter un Higarien puis tourna les talons et retourna en cuisine. Alma secoua la tête et sortit de ses pensées. A sa gauche, Odrik énumérait les différents types de pierres précieuses incrustées sur sa dague. Elle laissa échapper un soupir. Le banquet s'annonçait long et pénible.

                                                                                                * * *

      La soirée avait été dure pour Keïth aussi. Maintenant que les convives étaient partis, les domestiques devaient nettoyer toute la salle avant de pouvoir se reposer. Le seul avantage de ce genre de journées était bien la nourriture. A la fin du repas, quand tout le monde s'était goinfré, parfois à en vomir, quand les invités avaient bu plus de vin qu'il n'était raisonnable, et une fois que tout était propre et chaque tâche terminée, les domestiques avaient le droit de manger les restes. Un festin. C'était les seules fois où Keïth mangeait de si bon plats, tous aussi délicieux les uns que les autres. Quand il en restait vraiment beaucoup, il mangeait jusqu'à ce que son ventre lui paraisse trop gros et les domestiques se partageaient ce qu'il restait pour le ramener chez eux. Ce soir était un de ce soirs là. Vénéa pouvait reposer ses dents avec tous les potages et purées. Et même, la viande était si bien cuisinée qu'elle fondait presque dans la bouche. Un délice. La nuit était à un stade avancé, peut-être même l'aube arriverait elle bientôt et plus personne ne tenait vraiment debout. Il fallait laisser la place à ceux qui prendraient la relève pour la journée à venir. Il repartirent avec un poulet entier et du velouté de légumes pour Vénéa.