La Source Perdue

Chapitre IV

    Quand Keïth se leva le lendemain, il fut surprit de voir qu'Alma était déjà réveillée. Ou peut-être n'avait-elle pas dormi à en juger par ses cernes. Elle avait sûrement dû pleurnicher toute la nuit, et se morfondre sur son sort comme elle le faisait tout le temps. Mais elle avait l'air de bonne humeur, ou du moins, elle avait abandonné sa nonchalance habituelle. Elle avait déjà mangé sa pomme journalière et était déjà prête. Peut-être, pensa Keïth, qu'elle s'était rendue compte qu'elle ne retournerait jamais là d'où elle venait et avait décidé de travailler plutôt que d'être un poids pour les autres. Tant mieux, il n'aurait pas  l'avoir sur le dos tout le temps. Il en avait assez d'avoir à constamment la surveiller, il ne voulait plus l'aider. Jamais. Pas elle. Mais il trouvait ça étrange cependant. Ce n'était pas son genre. Bien sûr, il ne pouvait pas prétendre la connaître, mais elle était arrivée depuis un mois environ déjà, et c'était assez pour voir comment elle fonctionnait. Il pensa qu'il valait mieux garder un œil sur elle, histoire d'être sûr. Elle partit rapidement à son travail en cuisine, avant lui, ce qui était aussi inhabituel. Mais pour l'instant Keïth ne releva pas, il mangea sa pomme et partit se débarbouiller avant d'aller au travail.

    C'était le jour où l'équipe de ménage de la semaine était formée. Il y avait beaucoup à faire au palais et les domestiques alternaient. Les servantes ne changeaient pas vraiment et se contentaient de servir. Pour les gens comme Keïth, il y avait surtout les cuisines, des centaines de personnes à nourrir trois fois par jour, beaucoup plus les jours de cérémonie officielle. Mais il y avait aussi les écuries, le ménage, laver le linge et tout un tas d'autres tâches. Si Keïth était le plus souvent en cuisine, il n'échappait pas aux autres corvées non plus. Cette semaine il était de ménage, et, à son plus grand malheur, Alma aussi. Elle semblait accueillir cette nouvelle avec autant de joie que lui, mais peu importait, cette rouquine n'aimait rien de toutes façons.  A vrai dire, elle avait l'air plus contrariée ou embêtée qu'agacée de devoir faire le ménage avec lui, ce qui, inconsciemment, renforçait l'idée de Keïth qu'elle avait quelque chose en tête.

    Nettoyer n'était pas si simple que ça. Il fallait le faire quand les habitants du palais n'étaient pas dans les pièces mais il fallait aussi que cela soit fait rapidement et correctement. Les gens comme Bankshi prenaient un malin plaisir à dénicher le moindre grain de poussière et à faire recommencer les domestiques ou pire, les faire punir. Si les Higariens détestaient les Manariens, pensaient qu'ils n'étaient que des moins que rien, la plupart se contentaient de les ignorer. Seuls une poignée de gens aimaient leur créer des ennuis, eux qui s'ennuyaient au milieu de leurs dorures. La femme du Premier Conseiller de Roi était la pire dans ce domaine. Elle adorait ça.

Mais certaines pièces, certains endroits étaient plus tranquilles que d'autres. C'était le cas de la bibliothèque. Elle était parfois occupée pendant la journée, pour les classes des enfants et lorsque certains adultes ou guérisseurs venaient consulter des ouvrages ou tout simplement lire. Mais ils venaient principalement pour prendre un livre qu'ils amenaient dans leurs appartements, puis laissaient les livres dans la chambre pour que les domestiques les rangent à leur juste place. La bibliothèque était aussi immense, assez grande pour pouvoir passer inaperçu.

    Ce soir là, Keïth poussa les grandes portes de la bibliothèque. Elle était vide. Il adorait cet endroit. Quand il était de ménage, il gardait toujours cette pièce pour la fin car il pouvait y rester tant qu'il le voulait une fois son travail terminé. Il avait lu un bon nombre des livres de cette pièce, parfois passant des nuits blanches à dévorer une histoire à la lueur d'une simple chandelle. L'endroit était immense, et les livres s'empilaient sur des étagères qui allaient jusqu'au plafond. Le silence y régnait, et la douce lumière traversait les fins rideaux baignant la pièce d'une atmosphère douce et agréable. C'était comme un endroit coupé du monde, où plus rien d'extérieur n'avait d'importance. Il se baladait entre les rayons, passant sa main sur les tranches des livres alignés, redécouvrant les titres comme on découvre un endroit inconnu. Il l'avait déjà explorée dans les moindres recoins mais il y faisait de nouvelles découvertes à chaque fois. Tant de livres, de nouveaux, d'anciens. Il y avait toujours quelque chose qu'il n'avait pas remarqué les fois d'avant. La douce odeur de parchemin et de vieux livres le changeaient des vapeurs acides des cuisines ou des écuries. Ici tout était calme, comme dans un cocon, et rien ne viendrait le déranger. Sa colère ne passait pas ces portes et même le temps semblait s'arrêter.