La Source Perdue

Chapitre XIV

Ils ne dormirent pas, ou très peu cette nuit là, pour plusieurs raisons. L'inquiétude tout d'abord. Ils ne partaient pas pour un voyage de santé, ils n'étaient même pas sûrs de finir la journée du lendemain en vie. Et puis le port était assez vivant, même la nuit. Peut-être même plus que pendant la journée, et certainement plus que dans toutes les autres villes qu'ils avaient pu voir ou connaître avant d'arriver ici.
Partout, des hommes et des femmes saouls chantaient ou se disputaient. Les marins buvaient et fricotaient avec les prostituées. Certains se bagarraient, d'autres jouaient à des jeux, certains faisaient des paris pendant que d'autres donnaient des spectacles. Alma, Keïth et Markus profitèrent de ce spectacle qu'ils voyaient pour la première fois, peut-être la dernière. Ne serait-ce que pour profiter de la vie avant toutes les difficultés qui les attendaient.

Le lendemain, arriva bien trop vite pour leur laisser le temps de se reposer. Ils furent réveillés bien assez tôt par Jo' qui les secoua avec ses pieds. Ils n'auraient pas dormi beaucoup plus de toute façon.

- Faut pas rater le coche, leur dit-il. Je ne laisse jamais de seconde chance.

Les trois adolescents se levèrent. Ils avaient dormi à même le quai près du bateau sur lequel ils devaient embarquer le lendemain de peur de ne pas le retrouver ou d'arriver en retard. Ils enlevèrent la poussière de leurs vêtements et prirent leurs affaires puis montèrent sur le bateau, suivant Jo'. Sur le pont, des marins s'afféraient déjà, portant des caisses par ci, faisant des nœuds par là, criant des ordres dans tous les sens. Jo' les guida à travers le pont, leur désignant telle ou telle objet pour leur expliquer où il les avait dénichés, à qui il les avait volé, combien il les avait marchandés. Aucun des trois amis n'écoutait vraiment, ils étaient trop absorbés par ce qu'ils voyaient pour la première fois. Alma était déjà allée au bord de l'océan une ou deux fois, mais jamais encore elle n'était montée sur un navire. Keïth et Markus non plus. Sur Higaterra, seuls les marins, les pirates, les mercenaires, les pêcheurs, ceux qui transportaient des marchandises par voie maritime et ceux qui avaient fuit Manaterra étaient montés sur un navire. Les autres n'en avaient pas besoin et cela ne faisait pas partie de leur distraction non plus.
Jo' s'aperçût que son public ne l'écoutais pas vraiment ce qui le vexa, lui qui était si fier de son bateau. Il arrêta le récit de ses larcins, il s'en fichait de toute manière, tant qu'il avait son argent, et tant que ces gamins travaillaient pour lui pendant la traversée, peu importe qu'ils l'écoutent pas. Ils ne reviendraient jamais vivants de toute façon, pendant que lui reviendrait, bien vivant et toute la gloire de l'expédition lui serait attribuée. Car il n'avait en aucune façon l'intention de les attendre là-bas. Une fois que ces gosses auraient débarqué, il rentrerait sur Higaterra et récolterait les lauriers. Les gamins ? Personne ne remarquerait leur absence, trois petits Manariens, personne n'en avait rien à faire. Jo' était manarien lui-même, personne n'en avait jamais rien eu à faire de lui. La gamine, en revanche, était bizarre. Cette rouquine avait une bien elle broche pour une souillon comme elle.
Il tripota la poche dans laquelle il gardait la fleur argentée. Elle devait être coriace. Il ne savait pas à qui elle l'avait volé mais pour ne pas se faire prendre, du moins il l'imaginait, elle devait être forte. A l'en croire, elle l'avait prit à la reine elle-même... Mais il ne fallait pas se fier à ce que les gens disent. Ils mentent tous. Jo' en savait quelque chose, la félonie était son gagne-pain. Il les mena à l'intérieur et ouvrit la porte d'une toute petite cabine.

- Vos appartements, m'sieurs dames, annonça t-il dans un ton qui se moquait clairement des Higariens.

- Tous les trois ?

- Tous les trois, ma jolie.

- Nous avons payés et j'estime que...

- Et moi j'estime que vous n'avez pas assez payé, mais puisque je suis un homme d'honneur je vous laisse cette cabine, car vous êtes des invités et que je me dois de respecter ça. Mais si vous n'êtes pas contents, vous pouvez dormir avec l'équipage. Ils se feront une joie d'avoir un peu de compagnie féminine Si vous n'êtes toujours pas contents, continua t-il en pointant les escaliers qui menaient au pont, le bateau n'est pas encore parti. La maison ne rembourse pas, bien sûr.