La Source Perdue

Chapitre IX

C'était un après midi d'été, et il faisait chaud. Keïth venait d'arriver à Reg'esst. Sa mère était morte quelques jours auparavant ne laissant rien d'autre que la chaîne en or que le petit garçon portait autour du cou et dont il ne séparait jamais. L'étrange vieille dame à qui on l'avait confié lui avait préparé quelque chose à manger mais il n'en avait pas voulu et était sorti explorer la ville. Cela faisait trois jours qu'on l'avait emmené ici et il n'avait pas dit un mot depuis. Il venait de perdre sa mère et le petit brun avait l'impression qu'il éclaterait en sanglot s'il ouvrait la bouche pour dire ne serait-ce qu'un mot. Il ne travaillait pas encore. Quand on l'avait emmené ici, on lui avait fait comprendre qu'il devrait travailler dans le palais du roi. Enfin il n'en était pas sûr, il n'avait pas prêté attention à ce qu'on lui disait depuis qu'il avait quitté le village du seigneur qu'il servait. Toujours est-il que la vieille dame préférait lui laisser un peu de temps avant de l'emmener avec lui et de lui confier les tâches qui lui incombaient à partir de maintenant. Il ne les aurait pas vraiment faites de toutes manières.

Il avait repéré le fleuve à son arrivée ici et il essayait de le rejoindre mais le quartier Manarien de cette ville était immense. Il marcha longtemps entre les petites baraques, évitant des porcs ou des enfants qui couraient partout. Il mourait de chaud et la constante activité des gens qui allaient et venaient ne faisaient qu'ajouter à la chaleur. Il marcha longtemps, tourna en rond, regardant les maisons et les gens d'ici. Il essayait de se dire qu'il allait habiter là maintenant, dans cet endroit dont il ne connaissait rien.

A ce moment là, il aurait tout donné pour retourner dans sa campagne... se réveiller au milieu des chèvres et se rendre compte que ce n'était qu'un cauchemar. Mais il avait beau fermer les yeux de toutes ses forces et les ouvrir, il voyait toujours ces mêmes rues grouillant de gens occupés et pressés, et sa mère n'était toujours pas revenue. Elle ne reviendrait plus.

Après avoir vagabondé une bonne heure ou deux, il finit par arriver au cours d'eau qu'il cherchait. D'autres enfants étaient déjà là pour se rafraîchir. Ils gigotaient dans l'eau, et lui criaient devenir jouer avec eux mais il préférait les ignorer. Il n'avait aucune envie de jouer avec eux, il n'avait aucune envie de leur parler non plus. Il s'assit au bord de l'eau, laissant ses pieds tremper pour se rafraîchir un peu. De l'autre côté de la rive, des Higariens prenaient le frais aussi. Il les trouvait bien stupides et ne comprenait pas leurs manières.

A quoi bon essayer de se rafraîchir quand on portait des robes si lourdes qu'elle devaient vous étouffer ? Ils n'avaient qu'à s'habiller en fonction du temps qu'il faisait plutôt que de venir parader avec leurs ombrelles. Même les enfants paraissaient s'amuser bizarrement, comme s'ils n'osaient pas vraiment. Son attention se focalisa sur un groupe. Il y avait un homme habillé comme s'il allait à un défilé, un peu trop apprêté pour être naturel. Son gros ventre menaçait de faire éclater les boutons qui fermaient son immonde chemise.

Et puis il y avait cette femme froide. Sa peau était pâle, ses cheveux d'un blond presque blanc remonté en un chignon élégant et intriqué. De loin, l'expression de son visage semblait figée et dure. Sa robe était bleu marine, une couleur aussi froide que celle qui la portait et le tissu semblait plutôt lourd aussi. Elle tenait dans les bras un nourrisson aux cheveux châtain foncé et sa suivante s'affairait à tenir l'ombrelle bien au dessus d'elle pour ne pas qu'elle soit importunée par le soleil. Ils s'étaient installés sur des chaises autour d'une table sur laquelle étaient posés des verres. Keïth ne pouvait pas bien distinguer les détails de là où il était.

Beaucoup d'Higariens avaient fait de même, sûrement des gens de la cour qui prenaient une petite collation au bord de l'eau, comme si la rive était une sorte de terrasse. Certains gardes gardaient la zone pour que ces gens puissent profiter de leur après-midi. Aux pieds de l'homme bizarrement habillé jouait une petite fille aux cheveux auburn. Elle essayait d'attraper quelque chose mais n'y parvenait pas. Cela sembla dégoûter la femme hautaine parce qu'elle la chassa d'un geste de la main. La petite s'éloigna, essayant toujours de suivre ce qui devait être une grenouille. Il y en avait plein et même du côté Manarien, on s'amusait à qui en attraperait le plus.