Chapitre VII

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Depuis deux jours maintenant, Alma et Keïth marchaient en direction du sud. Ils dormaient dans la forêt pendant la nuit et se nourrissaient du peu de nourriture qu'Alma avait réussit à sauver pendant la course poursuite. Mais le sac se faisait de plus en plus léger et la quantité de vivres de plus en plus mince. Ils ne voulaient pas vraiment utiliser l'argent qu'Alma avait emporté car ils savaient qu'ils allaient en avoir besoin plus tard. Peut-être même que cela ne leur suffirait pas. Il ne fallait donc pas le gaspiller. Mais dormir sur le lit douillet d'une auberge était tellement attrayant et ce voyage vers Manaterra ne s'annonçait pas comme une partie de plaisir ou une promenade de santé. Il y aurait forcément des moments durs, même avant d'arriver sur le continent abandonné, en considérant qu'ils y arrivent un jour.

Alma en avait besoin,même si elle ne se plaignait plus ou presque depuis qu'ils avaient quitté la ville. Elle avait beau ne pas le dire, ses yeux fatigués et ses cernes, ses pas un peu plus lents et instables, ses bâillements répétés le criaient à sa place. Le corps de Keïth aussi commençait à se manifester, et il n'était pas content. Son dos le torturait, ses chevilles le lâchaient et son estomac le harcelait aussi. Dans les quartiers Manariens, il aurait tout donné pour dormir sur un lit douillet et non pas sur le vieux matelas de paille sale et tout plat de sa maison. A présent, il donnerait tout pour pouvoir s'allonger ne serait-ce qu'une heure sur ce matelas de fortune qu'il avait tant maudit.


La nuit commençait à tomber, la chaleur elle, ne semblait pas donner le signe d'une quelconque envie de les laisser respirer. Bientôt, il n'y aurait plus que la lune pour éclairer leur chemin et les arbres centenaires pour veiller sur leur sommeil. Le désespoir commençait à monter en eux à l'idée de passer une nuit de plus dans la forêt. A la vue d'un panneau, Alma ne put se contrôler et laissa échapper ce qu'elle s'efforçait de ne pas demander depuis leur fuite.


-  Regarde Keïth !  Il y a une auberge non loin.


Elle n'alla pas plus loin. Il avait parfaitement comprit ce qu'elle essayait de lui dire. S'il ne voulait pas, la réponse serait immédiate et s'il cédait, elle le serait aussi. Il en mourrait d'envie aussi, elle en était certaine. La pénombre l'empêchant de voir correctement, Keïth s'approcha du morceau de bois sur lequel on avait griffonné quelques mots pour l'examiner et réfléchit pendant un court instant qui sembla durer une éternité. Il se retourna vers Alma.

       -  Si on se dépêche, on pourra y arriver avant qu'il ne fasse complètement noir.

Alma laissa échapper un rire de joie. Elle était tellement épuisée que même si toutes les chambres étaient prises, elle dormirait volontiers sur de la paille. Ce serait toujours mieux que l'écorce des arbres ou les branches et autres petits cailloux qui lui rentraient dans la chair lorsqu'ils dormaient à même le sol. Bien qu'il  n'en dise rien, et bien qu'il commençait à faire trop sombre pour pouvoir le distinguer avec pour seule source de lumière la faible lueur de la lune, Alma l'aurait juré, en ce moment précis, Keïth aussi souriait.


       L'auberge ne se trouvait qu'a quelques lieux d'ici et ils ne tardèrent pas à apercevoir les lumières et à sentir la bonne odeur de ragoût leur chatouiller les narines. Ils parcoururent les derniers mètres en courant, la fatigue laissant place à l'impatience. Cette nuit dans un lit, ce repas chaud, ils en avaient rêvé avant même de prendre la fuite.

Ils pénétrèrent dans l'auberge sans vraiment se soucier du rang social des gens qui se trouvaient déjà à l'intérieur. En effet, dans les endroits reculés du pays, Manariens et paysans Higariens, parmi les plus pauvres, se côtoyaient volontiers. La vie des Manariens était aussi légèrement plus douce dans les campagnes, selon le seigneur auquel ils appartenaient.

L'auberge était bondée, l'espace d'un instant, ils craignirent de ne pas avoir de place mais tous les gens présents ici n'étaient pas tous là pour dormir, certains ne venaient que pour boire ou manger avant de reprendre la route. Les deux jeunes gens s'approchèrent du comptoir et demandèrent une chambre double. Par chance il y en restait de libres et une grosse dame les mena à leur chambre pour qu'ils s'y installent avant le repas. Quand la grosse dame eut refermé la porte derrière elle, Alma et Keïth perdirent le peu de civilité qu'il leur restait et se jetèrent sur leur lit respectif. Oh la douce sensation du tissu douillet contre ses membres meurtris par des jours de marche. Il serait vraiment dur de se lever, même pour descendre manger. Mais leur estomac l'emporta et ils finirent par descendre.

Alma repéra une table presque vide, où ils pourraient s'asseoir face à face et attendre qu'on vienne les servir. Dieu merci, les repas étaient inclus dans le prix et même si l'on ne pouvait choisir ce que l'on mange, n'importe quel plat serait mieux que les pommes pourries qu'ils avalaient depuis trois jours.


Aucun des deux ne parla. Trop affamés, ils ingurgitaient le ragoût de lapin fumant à toute vitesse, mâchant à peine et se brûlant la langue à chaque bouchée. Même avant la fuite de la capitale, Keïth n'avait pas eu l'occasion de manger un met tel que celui-ci depuis un temps fou. Tellement longtemps qu'il ne se rappelait même pas la dernière fois qu'il avait autant aimé ce qu'il avait dans son assiette. Une fois leurs écuelles terminées, on leur amena du raisin pour le dessert. Alma décida de briser le silence. Ils n'avaient pas parlé de la journée, Keïth n'avait jamais été très loquace mais il était sa seule compagnie à présent et le silence commençait sérieusement à lui peser.

         -Je suis contente d'être remontée un peu dans ton estime, dit elle.

Keïth failli s'étouffer avec un grain de raisin. Qu'est ce qu'elle était en train de raconter ? Où avait elle était cherché qu'il ait pu avoir une once d'estime pour elle ? Il reprit son expression froide et fermée.

         -J'ai toujours autant de sympathie pour toi que j'en ai depuis le début, répondit il aussi sèchement que possible.


    Alma afficha une expression blessée. Elle pensait enfin bien s'entendre avec lui, mais elle s'était trompée. Il avait toujours autant de haine et de rancœur contre elle, et elle n'en connaissait même pas la raison.

-         Pourquoi? demanda t-elle. On est dans le même bateau que je sache.

-Et    c'est la torture pour toi, pas vrai ? Sérieusement c'est quoi    cette punition ? Être révoquée ? C'est juste une autre manière    de dire « regardez, les Manariens sont des bouseux, c'est    vraiment la honte et le déshonneur d'être avec eux donc comme    punition extrême on vous envoie chez eux ». Ce n'est qu'un    signe de plus de votre intolérance, j'ai vu un homme être    révoqué parce qu'on SUPPOSAIT qu'il    avait fricoté avec je ne sais quelle Manarienne... c'est quoi ce    monde où même les privilégiés que vous êtes ne peuvent pas     faire ce qu'ils veulent de leur vie. Si vous nous détestez    autant, vous auriez mieux fait de ne pas nous accepter dès le    départ et tout aurait été réglé.

- On ne choisit pas où on naît ni ce qu'on fait nos ancêtres.

- C'est sûr que ça vous arrange bien de dire ce genre de choses, cracha Keïth. C'est ce qui fait que vous pouvez encore vous regarder dans un miroir. Vous adorez ça, vous admirer.

Alma reposa son raisin.

      -   Juste parce que je suis Higarienne ne fait pas forcément de moi une mauvaise personne... Juste parce que tu es Manarien ne fait pas forcément de toi une bonne personne non plus, mon cher Keïth.

Sur ces mots, elle se leva et rejoignit la chambre pour aller se coucher. Pour une fois qu'ils passaient une bonne soirée, il avait encore tout gâché.

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