Pour le plus grand bien

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—Il a réussi. Draco a réussi à réparer l'armoire. Vous savez ce que cela signifie, n'est-ce pas ? Et vous allez tout de même quitter le château avec Potter ?

Un fol espoir allégea un instant la poitrine de l'homme en noir. Si Dumbledore était absent lorsque les Mangemorts s'introduiraient dans Poudlard, il n'aurait pas à... Mais le vieil homme étouffa dans l'œuf l'espoir qui naissait déjà dans son cœur, comme s'il avait lu dans ses pensées.

—Ne vous réjouissez pas aussi vite, Severus, quoi qu'il arrive, ce soir je serai mort. Et si je réussis à revenir vivant avec Harry, c'est à vous que reviendra la tâche dont nous avons parlé. Si tel doit être le cas, j'ai décidé que cela se passerait ici. C'est l'endroit idéal, l'accès à la tour est facilement condamnable, c'est parfait pour mettre le moins de monde possible en danger. Je tâcherai de faire en sorte que notre retour soit assez visible pour y attirer nos amis Mangemorts... J'espère que je n'ai pas perdu toutes mes capacités à voler sur un balai, j'ai bien peur d'avoir manqué un peu d'entraînement ces dernières années.

—Comment pouvez-vous parler aussi légèrement d'une chose pareille ! Si votre mort vous importe si peu, ne pouvez-vous au moins penser un peu aux autres, pour une fois ? A... à moi ? Vous tenez beaucoup trop de choses pour acquises, Albus, ne vous est-il pas venu à l'esprit que je pourrais avoir changé d'avis ? Que je pourrais ne plus vouloir le faire ?

Dumbledore se retourna face à la vallée. La colère se mêlait à la supplication dans la voix de l'espion, et il ne voulait pas voir la douleur qu'il devinait sur le visage de Severus. Il se sentait déjà assez coupable comme ça.

—Peu m'importe ce que vous voulez ou ne voulez pas, Severus, vous n'avez pas le choix, vous avez prêté serment !

Son ton était volontairement froid et presque méprisant, bien plus dur que ce qu'il aurait souhaité. C'était nécessaire, il savait que le Maître des potions devrait le haïr assez, pour pouvoir lancer l'impardonnable. Mais son cœur pleurait de ne pas pouvoir dire au-revoir comme il l'aurait souhaité à cet homme qu'il aimait comme un fils et dont il s'apprêtait à briser définitivement le destin. Severus lui tourna brusquement le dos et s'enfuit à grands pas, sans rien ajouter.

Dans l'escalier, il croisa Potter, qui montait rejoindre le directeur sans se douter un instant que son destin aussi, était censé se sceller ce soir-là dans l'esprit du vieil homme. Il ne put s'empêcher de s'arrêter en face de lui, lui barrant un instant le passage. Le gamin le regardait d'un air de défi, arrogant comme l'avait été son père avant lui, mais il le regardait aussi, et surtout, avec les yeux de Lily. Sans un mot, sans aucune animosité, à la grande stupéfaction de l'adolescent, il plongea intensément, avec une sorte de fièvre, ses orbes d'obsidienne dans ce regard, pour y puiser la force de continuer, avant de s'écarter pour le laisser passer. Pour la mémoire de Lily, il avait renoncé à sa vie, il ne s'était pas seulement lié à Dumbledore, mais à un maître beaucoup plus exigeant que lui et Voldemort réunis : sa propre conscience ! Et pour pouvoir sauver Harry, il n'avait pas d'autre choix que d'obéir à Albus, encore cette fois !

Il ne repassa pas par ses appartements. Il y avait longtemps, depuis qu'il passait la majorité de son temps libre entre son laboratoire et son bureau, qu'ils ne lui servaient plus que de dortoir occasionnel, et il avait tout ce qui lui fallait chez lui, pour poursuivre ses recherches sur les Horcruxes. Il se rendit tout droit dans sa salle de cours. Cette classe de Défense qu'il avait tellement désirée pendant des années, et où il avait dernièrement appris à apprécier l'art de transmettre. Le poste maudit, dernier cadeau empoisonné d'Albus. Il avait beau ne pas croire en ces histoires de malédiction, il devait bien se rendre à l'évidence, lui non plus, ne serait pas resté plus d'un an à ce poste ! Le dos tourné aux pupitres des élèves, debout face aux immenses baies en ogive qui laissaient tomber sur lui les rayons obliques de la lumière du soir naissant, l'angoisse au ventre, il entama sa longue attente. Son agonie.

Le Veilleur dans l'Ombre I - Le jeu du PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant