Chapitre 8 : Soirée mouvementée et chinchilla

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    14 juin 2016
Carmen ouvrit les yeux sur son plafond blanc plein de marques d'humidité.
    Au début, elle ne bougea pas, parce que le matin c'était franchement pas son truc. Puis elle se retourna dans un sens, dans un autre, et se redressa, pensive. Elle cligna plusieurs fois des yeux pour s'habituer à la pénombre humide de sa petite chambre étriquée. Et elle resta immobile, écoutant le son de ses respirations régulières.
    Elle était fatiguée. Son vieux réveil indiquait 8 heure du matin. Super pour un dimanche.
    Elle n'arriverait pas à se rendormir, comme chaque matin. Impossible de fermer l'oeil lorsqu'elle l'avait rouvert plus de deux secondes. Elle balança ses jambes nues de l'autre côté du lit, crispa ses orteils engourdis dans la moquette bleu foncée, s'étira, puis se détendit, avachie sur le bord du lit.
    La soirée avait été agitée.
    Habituée à la pénombre, elle fixa son reflet exténué dans le miroir de l'armoire. Ses cernes étaient noires. Impressionnantes, même.
    Une fois, une de ses amies, (quand elle en avait encore) lui avait fait remarquer que son mascara avait coulé, en la pointant du doigt. Mais Carmen ne se maquillait pas. Elle en avait conclu que ses cernes étaient tellement noires qu'elle pouvait parfaitement ressembler à une fille venant de se faire larguer mais n'ayant pas eu le temps d'enlever son mascara avant de pleurer toutes les larmes de son corps. Juste en ayant dormi quelques heures de moins.
    Et c'était exactement le même phénomène. Comme un lendemain de soirée trop arrosé finissant par un plongeon dans une baignoire.
    Laide.
    Et soupira, passant une main dans ses cheveux trop courts lui donnant un air de garçon effronté. Ses yeux noirs s'attardèrent sur ses clavicules saillantes, sa trachée pointant sous la peau pâle de son cou. Agacée, elle finit par se lever, par réflexe, parce qu'elle ne supportait plus de rester immobile. D'un geste mécanique, elle essuya la sueur accumulée mouillant sa nuque et les cheveux la recouvrant. Il avait fait beaucoup trop chaud encore, cette nuit-ci. Elle contourna son lit, en culotte et débardeur blanc, insensible à la pudeur personnelle.
    Un instant seulement elle hésita à ouvrir les rideaux, puis elle se dit que croiser les voisins dans cette tenue n'était pas le best plan ever, et se résigna à quitter la pièce encore plongée dans le noir le plus total.
    Carmen mangea sans appétit, sans bruit, comme si elle avait peur de déranger qui que ce soit. Mais elle était seule. Chez elle.
    Après quelques minutes de silence uniquement ponctué par l'horloge et son tic tac incessant, elle ouvrit la porte du garage et sourit, attendrie.

    Elle qui croyait être seule.
    Smith était avachi sur son bureau, les lunettes de soleil à côté de lui, un café renversé par terre, avec une expression d'adolescent sur le visage. Elle ne l'avait pas beaucoup vu de cette manière. Sauf une fois où il était rentré bourré, après une de leur discussion inutiles sur son passé. Il s'était endormi dans son lit, cette fois-là, l'obligeant donc, elle, à se contenter du canapé en fulminant.
    Sa respiration était régulière, agréable, comme lorsqu'un bébé dort et qu'on ne peux s'empêcher de l'admirer. Il avait du avoir chaud aussi parce qu'il avait enlevé son habituelle veste pour ne garder qu'un t-shirt noir simple. Tout d'un coup sa carrure paraissait moins impressionnante. Il avait l'air d'un lion endormi. Du cyclope dans Ulysse, qui avait trop bu.
    Elle s'approcha timidement de lui, s'accroupi à côté du bureau, le contempla longuement, appuyant sa joue sur le rebord du meuble.
    Il y avait eu peu de fois, dans la vie de Carmen, ou elle pensa comme une fille. Comme les autres, en somme. Qu'elle s'était retournée sur le passage d'une jolie fille, avec une pointe de jalousie, qu'elle avait trouvé un homme séduisant. Mais elle devait avouer quelque chose, c'est qu'il était indéniablement beau. Cette constatation ne la fit même pas rougir, pour une fois. C'était évident. Pas besoin de se sentir gêné. N'importe quelle personne dans ce monde, fûsse-t-elle un homme terriblement hétéro, l'aurait trouvé beau comme un dieu à ce moment là. Si seulement il pouvait ouvrir ses yeux verts, ses beaux yeux, ce serait parfait.
    Elle sourit. "Beau comme un dieu" ? N'importe quoi. Aucun dieu ne lui ressemblait à l'Olympe. Tous les Poséidon, Zeus, Apollon, n'avaient pas ce caractère et ces petits défauts parfaits qui étaient parsemés sur le visage anguleux de Smith. Ils n'avaient pas cette taille, cette façon de marcher et de s'assoir, ou même de ne rien faire. Smith avait une personnalité unique et étrange.
    Elle voulu tendre la main vers lui et se résigna. Elle se détourna du spectacle si rare et s'adossa au bureau, lui tournant le dos, n'écoutant plus que sa respiration.

M. SmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant