Chapitre 13 : Café froid et frissons

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 - Alors, qu'est ce qu'on fait ?

Le piaillement de quelques oiseaux retentit dans la pièce. Le soleil passait au travers des vitres épaisses comme dans du beurre fondu. Un poids lourd passa dans un grondement lointain.

- Joël.

Ce dernier releva la tête. Lorsqu'il se rendit compte que tout le monde l'écoutait, il soupira doucement et fronça les sourcils.

- Je sais pas trop, marmonna-t-il en passant un main fatiguée sur ses yeux. De toute manière, nos ressources sont trop maigres, pas vrai ?

Il se tourna à gauche et à droite, lentement, avec des gestes précis et assurés, comme il savait le faire, pour observer minutieusement le visage de chacun de ses collègues. Seul Quinn lui renvoya un regard approbateur et un petit mouvement de tête.

Merci, Quinn.

Il leva à nouveau les yeux vers son chef.

- Donc, moi je dis, on attend. D'avoir quelque chose d'autre. On maintient ce qui était maintenu jusqu'à présent. Après, on verra.

Le visage marqué du chef se plissa un peu plus.

- Ok, Joël. Tout le monde est d'accord ?

La salle s'emplit momentanément de grognements sourds et de "oui" déformés par la fatigue et la flemme. Joël Edashi croisa les bras et laissa ses poumons se vider. Son chef eut alors un petit mouvement de l'avant bras, qui signifiait (et ils le savaient tous), que la réunion était terminée.

Les raclements des chaises sur le parquet crevèrent le silence. Quinn passa devant Joël et lui adressa un signe de tête amical. Joël lui sourit gentiment.

Quinn était un gars immense, qui parlait peu, qui faisait crouler sa chemise blanche immaculée sous le poids de ses muscles, et qui était doté d'une capacité assez impressionnante à être toujours dans le vrai, ou dans le juste. En réalité, Quinn avait juste un sens de la justice aberrant, ce qui lui avait valu des félicitations à son examen d'entrée dans les services des forces de l'ordre. A cause de sa taille, son crâne chauve, et son air de black intimidant, il faisait peur à la plupart, ou alors était victime de raillerie "sympathiques" de la part des autres collègues. Joël l'admirait, pour sa gentillesse, sa droiture d'esprit, mais aussi pour avoir 30 ans, un boulot à responsabilité, une femme et deux gosses.  Et une santé mentale et physique d'enfer.

Joël prit soin de sortir de la salle en dernier, pour éviter le tumulte de plaintes que générait la plupart de ses camarades.

Ce jour là, le commissariat était relativement calme. Des bureaux agités bordaient le mur en face de lui. A droite, les toilettes, à gauche, la section du commissariat ouverte au public. Derrière, les salles et bureaux qui  avaient le droit à quatre murs chacun, généralement pour enregistrer les plaintes des clients.

Joël s'écroula sur sa chaise et fixa l'écran de son ordinateur, arrêté sur un mail en cours de rédaction. Il lut soucieusement les premiers mots qu'il eut sous les yeux.

"...still not this year. I know, i know too well how you must feel, but..."

Il secoua la tête, agacé par ses propres paroles. Il ne comprenait pas pourquoi il s'évertuait à écrire ses mails en anglais. Ses parents insistaient, bien entendu, mais il savait pertinemment que quelques-uns des mots qu'il avait pris tant de soin à placer ici ou là, par souci de diplomatie, allaient complètement passer à la trappe. Ses parents étaient japonais, et ils étaient restés dans le pays où ils étaient nés. Pas lui, comme vous avez pu le comprendre. Le rêve de ses parents était qu'il aille travailler et vivre aux États-Unis. Accessoirement, également se trouver une femme américaine, avoir des enfants avec elle et ramener les enfants à leurs grands-parents tous les étés pour qu'ils puissent leur apprendre à faire je-ne-sais-trop-quelle plat, jeu traditionnel, ou thé obscur. C'était des choses qu'ils affectionnaient beaucoup. Ils avaient même pris soin de lui donner un nom qui ne sonnait pas japonais, faute d'être typiquement américain.

M. SmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant