Chapitre 17 : Un grand café et japonais

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Ça avait été une véritable guerre mondiale de faire revenir la bagnole de chez Pete. Franchement Smith était bien mignon, mais il faisait vraiment chier. En résumé, Pete, qui avait à peine son permis, avait du ramener la voiture devant chez Carmen, en s'assurant bien entendu de graver son adresse au fond de son crâne, puis elle avait du le ramener devant son appartement moisi, avant de repartir enfin chez elle avec sa caisse à savon. Tout ça parce que Smith DEVAIT partir immédiatement avec sa voiture à elle, et qu'il n'était pas foutu de disposer d'un moyen de transport. Incorrigible et insupportable. Clairement il n'en avait rien à foutre.

Elle avait d'autres choses à penser. Comme servir les clients, répondre correctement aux clients, sourire aux clients (ugh, la pire chose), lécher le boule des clients, en essayant de grappiller un peu de dignité par ci par là, pendant les pauses.

Le boulot au Dunkin' Donut, c'était... hum, comment dire... Les uniformes, pour commencer, étaient tout bonnement immondes. Des tabliers marronnasses, un petit polo blanc qui gardait la chaleur comme pas possible, l'obligation débile de porter un pantalon sous cette chaleur écrasante, et le pire du pire, le point culminant de la mocheté cliché : une petite casquette marron, pire encore que le tablier, vissée sur la tête en toute heure de la journée. Heureusement, Carmen bossait en soirée. C'était une vraie aubaine, déjà parce qu'il faisait beaucoup moins chaud, mais aussi parce qu'il y avait moins de client, et ça c'était cool.

Vous allez vous dire : comment une personne qui déteste les clients comme Carmen a-t-elle pu avoir l'idée débile de bosser dans un putain de Dunkin Donuts ? C'était simple : ça ou caissière. Et plutôt crever que d'être caissière dans un Target. La proprio connaissait vaguement son père, de vue, disons, et lui avait offert ce boulot de serveuse/demi-caissière, ce qui était bien mieux que caissière tout court. Elle gagnait peu, mais s'en fichait, et devait reconnaitre que l'une des raisons principales qui la forçaient à garder ce boulot, c'était qu'elle en faisait une activité, une occupation, qui en plus était rémunérée (alors franchement : tout bénef).

Autre question, je suppose : comment voir un boulot comme une activité ? Et bien c'était une femme créative et pleine d'imagination aigrie. Compter le nombre de personne portant un polo vert, ou le nombre de gens qui ne lui disaient pas bonjour, était en réalité assez épuisant et inutile, alors elle s'était mise à imaginer la vie des gens rien qu'en les regardant, ce qui était tout à fait divertissant.

Un gros homme suant, encastré dans un t-shirt gris plein de sueur, l'œil lent, les gestes mous, était assis sur une table, engloutissant une boite de donuts à lui tout seul.

Toi : toujours puceau, vit chez ses parents, a une addiction pour Britney Spears, désire bosser dans l'informatique mais préfère se goinfrer plutôt que de faire des études.

Carmen détourna le regard, fière d'elle. On en croisait beaucoup des comme lui. Voyons voir, la jeune fille brune, là-bas, assise sur une table avec deux de ses amies.

Riche, sympa mais trop imbue d'elle même, passe pour une connasse partout où elle passe, a des notes moyennes mais va s'en tirer avec une super école grâce au fric de ses parents. Pas si connasse que ça.

Elle allait passer à une nouvelle victime lorsqu'un nouveau client s'accouda au comptoir et attendit qu'elle lui accorde son attention. Généralement, c'était la partie moins drôle. 

- Bonjour monsieur, vous désirez ? demanda-t-elle de la manière la plus polie possible en se détournant de son petit jeu.

Il était blond, la quarantaine, seul (étrange...), avec des yeux verts et des dents trop parfaites pour être vraies. BCBG, chemise, mocassins, cheveux tirés en arrière avec du gel. Probablement friqué, trompe probablement sa femme. Carmen l'analysa du regard quelques secondes en écoutant sa commande. Elle tapa cette dernière sur l'écran tactile, et lui demanda de patienter.

M. SmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant