Book of Love

Chapitre 20

Deux semaines ont passé depuis mon retour en ville. Mon humeur du moment est, on peut le qualifier ainsi, exécrable. Si avant j'avais le statut de grande garce, aujourd'hui je viens largement de passer le palier de grande connasse.

Je ne quitte désormais mon bureau plus que pour manger, boire et me doucher. Accessoirement, je prends le temps de dormir quelques heures. Il faut dire que mes deux semaines de vacances m'ont énormément retardé sur mon planning. Car comme je m'en doutais, personne n'a fait le travail comme il se devait lors de mon absence.

J'ai certainement passé une centaine de coups de fil et écris un millier de mails. J'aurais pu laisser ce travail à ma nouvelle secrétaire, mais quand je l'ai vu compter le nombre de couleurs que son stylo-bille multicolore avait, j'ai abandonné l'idée et me suis résigné à travailler seule.

On pourrait penser que je juge trop vite les gens, mais si je rajoute le fait qu'elle m'a demandé si j'avais déjà rencontré le mec qui a écrit le petit Prince, en désignant ce livre comme un "sacré bouquin". Je ne peux que penser que son cerveau est aussi vide que sa présence ici. Je n'ai bien sûre pu m'empêcher de lui répondre que je n'ai malheureusement pas su l'apprivoiser, et qu'il était parti retrouver son étoile. Référence, qu'elle n'a, bien entendu, pas compris,  preuve incontestable qu'elle n'a jamais lu ce "sacré bouquin". Bref, je n'ai pas osé la congédier afin de m'éviter un nouveau conflit avec Robert. En ce moment au moins je le vois, au mieux je me porte.

Il faut dire que depuis mon retour, son comportement a quelque peu changé envers moi. Il est devenu plus autoritaire, essayant de me faire culpabiliser le plus souvent possible en abordant le sujet de "Book of Love".

Heureusement, j'ai la présence d'esprit de ne pas rentrer à chaque fois dans son jeu. D'ici quelques semaines cette histoire sera complètement oubliée et il se calmera donc par la même occasion.

Ce matin, j'ai du me rendre chez un client très important avant d'aller au bureau. Je n'aime pas trop devoir me déplacer, mais je ne peux vraisemblablement pas me permettre de perdre la moindre affaire que je traite. Je ne donnerai pas la satisfaction à Robert de pouvoir encore me voir fauter.

Donc, c'est avec mon contrat en poche que je retourne triomphante à l'agence. Mon air supérieur enclenché, j'arpente fièrement le couloir qui mène jusqu'à mon bureau.
À cet instant précis, je suis persuadé que rien ne pourra me faire descendre de mon petit nuage. Mais comme bien souvent en ce moment le destin va en décider autrement.

Alors, quand je passe devant le bureau de Robert et que j'y vois installé en face de lui Tyler, je me crois soudainement prise d'une hallucination. Et pour parvenir à m'autoconvaincre que tout ceci est bien réel, je me sens dans l'obligation d'observer autour de moi si tout correspond à mon environnement habituel. Et quand je tombe sur la gourde qui me sert d'assistante en train de coller des gommettes de toutes les couleurs en forme de coeur sur une feuille vierge, je sais que je ne peux vraisemblablement pas inventer un truc pareil.

Après un court moment d'exaspération devant ce tableau pathétique, je retourne mon regard sur ce qui m'intéresse vraiment. Tyler assis en face de mon mentor à parler de je ne sais quoi.

À cet instant précis, je ne sais pas ce qui m'agace le plus. Le fait qu'aucun des deux ne m'ait prévenu de cette entrevue, ou bien le fait que mon coeur est prêt à exploser tant il est éprouvé de le revoir.

Je viens de passer deux semaines à me convaincre, voire m'ordonner de l'oublier, et voilà qu'il se trouve à quelques mètres de moi. L'envie de partir dans mon bureau et de les ignorer est grande, mais pas aussi grande que d'en découdre avec eux. C'est pour cela que je déconnecte la partie raisonnable de mon cerveau et entre sans réfléchir davantage.