Chapitre 9

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Quand tous les convives furent installés, je remarquai l'homme de grande taille qui avait pris place à côté de Constance. Vêtu somptueusement, il discutait avec insouciance avec son autre voisine, adressant de temps en temps quelques mots de courtoisie à la duchesse.

— C'est donc là messire Guy de Thouars ? demandai-je à Claudine, placée à côté de moi.

— C'est vrai que c'est la première fois que tu viens depuis son mariage ! sourit mon amie. Messire de Thouars est pourtant ici depuis deux ans. Et notre duchesse est déjà enceinte pour la deuxième fois..., ajouta-t-elle en revenant à ses inquiétudes premières.

— Comment est-il ? demandai-je.

— Oh, il n'y a pas grand-chose à en dire, dit Claudine négligemment. Il a une certaine ascendance sur la cour du fait de sa position de beau-père du duc, mais il reste un étranger. En l'absence d'Arthur, c'est lui qui dirige plus ou moins le duché... mais notre duchesse est encore très écoutée. Tous se souviennent de la longue période pendant laquelle elle a tenu les rênes seule. Mais aujourd'hui, elle est si affaiblie...

Claudine et moi reparlâmes de Constance, puis nous discutâmes de choses plus légères, nous racontant ce que nous avions fait pendant ces deux années. Claudine prit un malin plaisir à me questionner sur le sire de Vitré, tant et si bien que je dus lui affirmer avec une pointe d'agacement qu'il n'y avait rien entre nous. Mon amie me lança un regard amusé montrant qu'elle ne me croyait pas, ce à quoi je répondis pour y couper court qu'André de Vitré était marié et père d'un petit garçon.

Claudine accepta enfin de laisser tomber, et me révéla à son tour qu'elle n'avait eu aucune liaison depuis son retour. Cela me surprit quelque peu, mais elle m'expliqua à mi-voix qu'elle avait mis beaucoup de temps avant de faire son deuil d'Odet... En revanche, il était question de marier son jeune frère, Josse, avec une lingère qu'il courtisait depuis quelques temps.

Tout en parlant, je remarquai que mon amie lançait de fréquents coups d'œil en direction d'un des gardes qui surveillaient les portes de la grande salle. Il s'agissait d'un jeune officier, vêtu avec élégance, mais trop loin pour que je pusse distinguer nettement son visage. L'absence d'aventures galantes de la demoiselle n'avait-elle pas une autre raison ? Amusée, je l'interrogeai du regard.

— Non, non, s'empressa-t-elle de répondre, ce n'est pas ce que tu crois ! Il n'y a rien, je t'assure !

— Allons, Claudine, ce n'est pas à moi que tu feras croire cela ! dis-je en riant. Tu m'as bien dit que ton deuil était fini, non ?

— Non, je t'assure Yanna, il n'y a rien !

Mon amie semblait tellement embarrassée que cela m'étonna. Ce n'était pas dans ses habitudes de cacher quand un homme lui plaisait. Intriguée, je ne voulus pas lâcher l'affaire.

— Alors pourquoi le regardes-tu ainsi ?

— Mais je ne le regarde pas, tu te fais des idées ! siffla-t-elle en plongeant le nez dans son assiette.

— Bon, bon, je n'insiste pas... Mais puis-je au moins savoir comment il s'appelle ?

— Tu ne le reconnais pas ? fit-elle d'une voix encore un peu embarrassée. Un de tes proches qui a intégré la prestigieuse garde ducale...

J'ouvris de grands yeux et regardai à nouveau le jeune officier. Maintenant que je le savais, oui, je le reconnaissais... La dernière fois que je l'avais vu, cinq ans plus tôt, il n'était qu'un jeune homme à peine sorti de l'enfance... Aujourd'hui, Thomas de Menezher approchait des vingt ans, et l'uniforme d'officier de la garde ducale lui conférait une maturité qui le mettait singulièrement en valeur, songeai-je. Son visage encore lisse portait la trace d'une barbe soigneusement rasée de près, tandis qu'il balayait la salle d'un regard sérieux et concentré. Puis ses yeux rencontrèrent les miens, et je le saluai d'un hochement de tête accompagné d'un sourire. Il garda un visage impassible, mis à part son regard qui brilla d'un éclat de joie.

La Dernière chevauchée, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant