Chapitre 18

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— Yanna, je suis vraiment fâché de cette brouille entre nous, commença le jeune homme quand je l'eus rejoint.

D'emblée, je fus touchée qu'il m'appelât simplement par mon prénom, délaissant tout protocole. Mais aussi que, ravalant sa fierté, il eût pris l'initiative d'une réconciliation.

— J'en suis fâchée également, je vous l'avoue, concédai-je de bon cœur.

— Ne pourrions-nous cesser là ces broutilles et redevenir bons amis ?

— Peut-être, si vous regrettiez certaines paroles malheureuses prononcées lors de notre dernière entrevue.

— Des paroles malheureuses ? Attendez... Que vous ne deviez point dire du mal du roi Philippe ?

— Non point, Messire. Cherchez encore. À la fin.

— Oh, bien sûr ! Pardonnez-moi, il va de soi que je n'en pensais pas un mot ! Je me suis laissé emporter en vous traitant de bâtarde, veuillez me pardonnez. Les... enfants naturels se retrouvent dans beaucoup de nobles familles, et donnent souvent des personnes de grande valeur... même s'il n'est pas courant que la bâtardise vienne par la mère !

— En effet, les hommes peuvent faire autant d'enfants qu'il leur plait, tandis que leurs épouses sont astreintes à une vertu irréprochable. Je sais cela.

— Mais comment être certain autrement du père de l'enfant ? contra Arthur. Cependant je sais que notre mère était encore damoiselle quand vous vîntes au monde. Elle n'a trompé aucun mari.

— Elle était fiancée à votre père, remarquai-je avec un sourire.

— Certes, mais fiancé n'est pas marié.

Nous échangeâmes un regard entendu qui nous réchauffa le cœur à tous deux. La brouille semblait oubliée, nous devisions à nouveaux comme si de rien n'était. Je ne voulus pas laisser retomber cette atmosphère de confiance qui venait de naître entre nous. Je repris :

— Messire, je reste opposée à votre dessein concernant la couronne d'Angleterre, mais, foi de Menezher, je vous promets de ne plus vous ennuyer avec mes vains discours !

— À la bonne heure, Yanna ! Je suis bien heureux de vous retrouver ! Mais si vous n'êtes toujours pas d'accord avec mes projets, pourquoi m'aidez-vous ?

— Je ne vous aide pas, Dieu m'en garde ! lançai-je en riant. Je vous protège ! Vous n'êtes pas sans ignorer la promesse faite à notre mère ? Promesse à laquelle s'ajoute une affection toute personnelle...

— Malgré ce que j'ai pu vous dire ?

— Malgré tout, Messire. Même si nos opinions divergent, vous n'aurez jamais de plus fidèle alliée que moi.

Touché, le jeune homme m'adressa un large sourire. J'y répondis chaleureusement, heureuse de le retrouver. J'avais toujours éprouvé pour mon jeune frère une sympathie instinctive, et cela dès notre première rencontre, dans un couloir du château du Bouffay, à Nantes. Notre fuite commune jusqu'à Menezher et les dangers affrontés ensemble nous avaient sensiblement rapprochés, mais je sentis qu'en ce moment-même une nouvelle complicité était en train de naître. Entraînée par une soudaine gaîté, je lui demandai vivement, l'œil malicieux :

— Vos officiers vous attendent-ils, Messire ?

— Mes officiers ? Ma foi oui, mais ils peuvent attendre encore un peu si je le souhaite.

— Alors je vous promets de me tenir tranquille... si vous arrivez avant moi au bois que nous voyons là-bas !

— Quoi ? Dame Yanna ! s'écria le jeune homme en me voyant partir soudain au grand galop.

La Dernière chevauchée, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant