Chapitre 24

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— Une rumeur, oui... ? repris-je pour l'encourager, tout en me souvenant des mises en gardes de mes compagnons.

— Ouais. Y en a qui disent que le roi Jean a tout fait pour faire renoncer ce jeune homme à ses prétentions sur son trône, en vain. Il doit être sacrément têtu, vot' duc.

— Inconscient, plutôt, fis-je.

— Sûrement. Paraît qu'il s'y est accroché, à son trône! Qu'il voulait pas en démordre !

— Et alors ? dis-je avec une angoisse grandissante.

— Alors ? Et bien, ce ne sont que des rumeurs, mais...

Il s'arrêta pour jeter un coup d'œil autour de lui. Puis il reprit, plus bas, sur un air de conspiration :

— Y en a qui disent qu'avant d'arriver à Rouen, le roi Jean aurait appelé auprès de lui ses serviteurs les plus dévoués pour leur demander – en leur promettant plein de cadeaux ! – de chercher un moyen de faire périr son neveu. Tous auraient refusé de se charger d'un si grand crime, alors le roi aurait brusquement quitté sa cour pendant trois jours. Après quoi, il aurait envoyé trois de ses domestiques pour crever les yeux de... Arthur, c'est ça ? et pour lui ôter ses parties viriles, pour l'empêcher d'avoir une descendance, vous voyez. Deux de ses domestiques, horrifiés, se seraient dérobés en chemin, mais le troisième serait entré dans la cellule poignard en main. On dit qu'Arthur était enchaîné par les pieds avec une triple chaîne. Pourtant, se saisissant de son banc, il s'en serait fait une protection et une arme, renversant l'homme ! Un sacré gaillard, non ?

J'étais pâle, mais écoutais en silence.

— Ce ne sont que des rumeurs ! rappela sèchement Étienne.

— Ensuite ? demandai-je d'une voix blanche.

— Ensuite, le gouverneur, alerté, aurait refusé d'être complice et aurait jeté l'homme dehors. C'est là que le roi Jean aurait fait transférer son prisonnier dans la tour de Rouen.

— Est-on certain qu'il y soit encore ? demandai-je, le cœur tambourinant dans ma poitrine.

— Eh bien non, justement, continua l'aubergiste, ravi de son petit effet. On dit qu'une nuit, le roi Jean est allé dans une petite barque avec son écuyer, et qu'il a abordé la poterne de la forteresse, donnant sur la Seine. Il a ensuite demandé à ce que son neveu lui soit apporté. Accompagné de son écuyer, il a pris Arthur avec lui dans la barque et s'est écarté de la rive. Une fois au milieu de la Seine, Arthur aurait compris les intentions du roi et se serait jeté à ses pieds en criant : « Mon oncle, aie pitié de ton jeune neveu ! » C'étaient là vaines suppliques, vous vous en doutez. Le roi lui ordonna de se taire, et dit à son complice de faire sa besogne. Mais l'homme ne fit pas un geste. Alors Jean saisit Arthur par les cheveux et lui enfonça son épée dans la poitrine, s'acharna dessus. D'autres disent qu'il l'égorgea. Toujours est-il qu'il attacha une pierre à son cou et le jeta dans l'eau. Le roi fit ensuite répandre le bruit que son prisonnier s'était noyé en tentant de s'enfuir par une fenêtre. Mais l'écuyer se serait enfui et aurait raconté la scène à tous !

Malgré moi, je blêmis fortement, au point qu'Aubin crut un moment que j'allais m'évanouir. Mais je fis appel à toutes mes forces pour garder une contenance.

— A-t-on des preuves ? articulai-je.

— Non, bien sûr, ce ne sont que des rumeurs.

— Mais avec beaucoup de détails, remarqua sombrement Aubin.

— Les hommes ont beaucoup d'imagination quand il s'agit de raconter ce genre de choses, répliquai-je sèchement. On sait comment n'importe quel conte ou légende varie en fonction du conteur, comment il est facile d'enrober son récit de tout un tas de détails inventés. Pour ma part, je n'en crois pas un mot.

La Dernière chevauchée, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant