Chapitre 30

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Étienne, Aubin et moi quittâmes l'armée à l'aube, sans prévenir personne hormis mon cher André de Vitré, et surtout sans prendre congé du roi. Nous voyageâmes lentement, faisant de courtes étapes, pour n'arriver que plusieurs semaines plus tard à la cour bretonne.

Nous mîmes enfin pied à terre dans la cour du château du Bouffay par un doux matin de juillet. Après avoir confié nos chevaux aux bons soins des palefreniers, nous nous rendîmes directement aux appartements de Thomas et Claudine, pendant qu'un page allait les chercher. La jeune femme, qui était auprès des petites princesses, arriva en première.

— Yanna ! Papa ! s'exclama-t-elle en se jetant dans les bras grands ouverts de son père. Comme je suis heureuse de vous revoir ! Bon Dieu, cela fait si longtemps !

Elle embrassa successivement chacun d'entre nous, tandis que nous remarquions au passage le petit renflement qui déformait son ventre. La jeune femme rayonnait de bonheur.

— Que nous vaut le bonheur de votre retour ? Car vous restez bien, n'est-ce pas ? demanda-t-elle ensuite.

— Ma chère Claudine ! fis-je avec un triste sourire. Oui nous restons. En Bretagne, du moins. Nous n'avons plus aucune raison de suivre l'armée...

Ma voix se cassa légèrement sur ces derniers mots, et le sourire de Claudine disparut soudain.

— Oui, bien sûr, souffla-t-elle. Je suis désolée, Yanna...

— Il ne faut pas...

— Dame Yanna !

Nous nous tournâmes vers la porte où venait d'apparaître Thomas, aussi rayonnants que l'avait été Claudine. Après nous avoir salué chaleureusement, il s'assombrit à son tour en comprenant la raison de notre retour.

— Bien sûr, murmura Thomas. Chacun, ici, est persuadé qu'il n'y a plus aucun espoir de revoir notre duc vivant...

— Messire Thomas, intervint Étienne, il y a autre chose que vous devez savoir. Des nouvelles guère agréables, j'en ai peur.

Le jeune homme l'interrogea d'un regard à la fois surpris et inquiet.

— Cela concerne votre père, Messire. J'ai le regret de vous apprendre qu'il a été capturé par l'armée bretonne, alors qu'elle quittait le Mont Saint-Michel...

Il n'eut pas besoin d'en dire plus. Thomas comprit le sort qui avait attendu son père, et baissa les yeux. Chacun garda le silence, puis le jeune capitaine des gardes reprit :

— Allons, je savais bien ce qui l'attendait s'il se faisait prendre. Il ne pouvait y échapper...

Je notai avec une surprise soulagée que s'il se montrait quelque peu peiné de cette nouvelle, il n'en semblait pourtant guère affligé.

— C'était un traître, continua-t-il. Et je sais le mal qu'il vous a fait, dame Yanna, ainsi que le reste de ses forfaits.

Et encore, non, il ne savait pas tout ! songeai-je.

— D'une certaine façon, je suis un peu soulagé de ne plus avoir à supporter la honte de ma filiation. Je n'aurai plus à rougir du nom que je porte. Je l'ai à peine connu, il était toujours rendu en Angleterre.

Je hochai la tête. Je comprenais parfaitement.

— Bien, je vous laisse vous installer tranquillement. Nous nous retrouverons ce soir ?

— Messire, avant que vous ne preniez congé, il y a autre chose, ajoutai-je.

— Est-ce aussi grave que la mort de mon père ? demanda-t-il avec un triste sourire en coin.

La Dernière chevauchée, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant