Fin mai 1204.
Philippe Auguste étirait enfin ses forces autour de la capitale normande, alignant tentes et bataillons en vue du siège. Contrairement à ce qu'auraient pensé mes compagnons, je n'avais montré ni joie ni soulagement. Plus la perspective d'entrer dans la ville se rapprochait, plus je redoutais ce que j'allais y trouver. L'angoisse me serrait le cœur plus que jamais. Cela faisait plus d'un an que l'on était sans nouvelle d'Arthur, plus d'un an que courraient ces odieuses rumeurs sur son assassinat.
Alors que le siège commençait, je me trouvai un endroit un peu à l'écart d'où je pouvais apercevoir l'entrée principale de la ville, solidement barricadée, et n'en bougeai plus, l'épée au côté, prête à bondir dès qu'elle capitulerait.
Au début, mes compagnons se relayèrent pour me tenir compagnie. Mais bientôt, comme je ne bougeais ni ne parlais, ils me laissèrent tranquille, venant seulement de temps en temps s'assurer que je n'avais besoin de rien. Je rentrais à la tombée du jour, mangeais avec Étienne et Aubin en échangeant les nouvelles du siège, puis me couchais. Rien n'avançait. La ville tenait bon, et n'était pas près de se rendre.
Je ruminais mes sombres pensées toute la journée, et parfois, le soir en rentrant, quelques larmes d'angoisse mouillaient mes yeux. Ces soirs-là, Aubin adressait un regard à Étienne, qui s'éclipsait pour nous laisser. Le jeune homme m'entraînait alors sur notre couchette, m'étendait dessus, et doucement me faisait l'amour. Je finissais par me détendre sous ses caresses, enveloppée par la chaleur rassurante de son corps contre le mien, et oubliais mes craintes l'espace d'un instant. Mais une fois ce moment de tendresse passé, ces dernières revenaient m'assaillir de nouveau, sans relâche.
Aubin se désespérait devant ma détresse muette, mais se sentait tellement impuissant à y remédier ! Tout ce qu'il pouvait faire, c'était m'entourer d'amour et de tendresse, et prier pour le cauchemar cessât bientôt. Qu'on apprît enfin ce qu'il était réellement advenu du jeune prince ! Même la certitude de sa mort vaudrait mieux que l'ignorance ! Il avait d'ailleurs le sentiment que cette macabre nouvelle ne m'affecterait pas longtemps, tant les rumeurs incessantes m'y avaient déjà préparée. Alors seulement j'accepterais de rentrer en Bretagne, et enfin nous pourrions envisager l'avenir sereinement, notre avenir... Mais Dieu que le temps était long ! Il en avait plus qu'assez de cette vie de campagne militaire ! Et Dieu que ma détresse le poignait ! Il aurait tout donné pour me voir sourire à nouveau, pour sécher les larmes qui sillonnaient mes joues...
Le jeune homme attendait, prenant son mal en patience. Enfin, il sentait que le dénouement approchait.
Le siège de Rouen dura quatre-vingt jours. Début juin, une délégation de bourgeois rencontra le roi pour convenir d'une trêve de trente jours. Passé ce délai, si les deux rois n'avaient pas fait la paix, ou si Jean ne les avait pas délivrés, ils se rendraient. Les jours passèrent, et Jean ne vint pas.
Philippe Auguste donna aux bourgeois toutes les garanties qu'ils demandaient, et la ville accepta la reddition le 24 juin 1204, avant même que les trente jours ne se fussent écoulés, mais avec l'obligation toutefois de détruire leurs murailles.
Je ne pus m'y précipiter aussi vite que je l'aurais voulu : il fallait d'abord que le roi fît son entrée solennelle, entouré de toute la pompe requise pour honorer la prise de la capitale normande.
Mais derrière lui, mes compagnons et moi fûmes parmi les premiers à nous y engouffrer. Sitôt dans les murs, nous nous éloignâmes du cortège et demandâmes la direction de la forteresse, que des bourgeois maussades nous indiquèrent en haussant les épaules. Mon cœur cognait dans ma poitrine à m'en faire mal. Je me doutais que je ne trouverais pas mon frère tout de suite. Il était certainement caché, il faudrait faire parler les geôliers. S'il y était toujours... Mais au moins pourraient-ils m'apprendre ce qui s'était réellement passé !
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La Dernière chevauchée, Tome 2
Historical FictionUne fois débarrassés de dame Blanche, Yanna et ses compagnons d'aventure doivent maintenant mettre leur jeune duc Arthur en sécurité. Mais le fils de dame Blanche, Bertrand de Menezher, court toujours et n'a pas perdu espoir de découvrir la coupe lé...