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Le doyen avait regardé Noah pendant plusieurs minutes, le regard plus qu'interrogateur. Elle était perdue. La réaction qu'il avait eu était-elle de sa faute? Pourquoi était-il partit comme ça, précipitamment? Mais elle savait qu'il se passait quelque chose, là maintenant, elle l'avait vu dans ses yeux, ils étaient plus durs, plus graves, avec une once de peur. Elle avait comme un doute. De quoi pouvait-il avoir peur, lui qui pouvait lire chaque individu comme un livre d'enfants, lui qui savait ce qu'il s'était passé dans un lieu en le regardant quelques secondes, lui qui avait la faculté de tout déduire en moins de temps qu'il n'en fallait pour se l'imaginer. C'est sur ces pensées qu'elle s'activa, ayant sursauté quand le vieux Cooper l'interpella.

"Miss, qu'avez vous fait?

-M-Moi?" bégaya-t-elle. "Comment ça?

-Il ne s'emporte jamais comme ça. Il s'est forcément passé quelque chose.

-Je... Rien, pas que je sache... Je...

-Réfléchissez un peu! Rien ne vous a paru bizarre?

-On parle bien du même Sherlock Holmes, celui qui fait tout ce qui est bizarre?"

Le doyen ne répondit pas, hocha passablement la tête et invita d'un geste de la main la jeune femme à quitter les lieux, avant de sortir lui même de la pièce et fermer la porte.

Que devait faire Noah? Elle n'avait pas cours, vu que son professeur venait de s'éclipser, mais la bibliothèque n'était pas encore ouverte.

"John..." souffla-t-elle.

Elle se perdit alors dans les couloirs gris de l'Université, près d'un quart d'heure avait passé quand, à un carrefour, elle entra en collision avec quelque chose.

"Noah! Ça va?

-Oui, ne t'inquiète pas. Dis moi, John, tu n'aurais pas vu Lock?

-Non, pourquoi? Il est pas venu en cours?"

Alors Noah fit un rapide topo au médecin et sa mine se renfrogna quand les yeux de l'homme foncèrent.

"Quoi? Qu'est-ce qu'il y a? Dis moi!

-Je... t'as essayé de l'appeler?

-Oui, répondeur, pas de sonnerie" abrégea la rouquine de plus en plus anxieuse. "Il va faire une connerie?

-Je pense oui. La dernière fois je l'ai retrouvé sur un trottoir miteux entre deux poubelles, complètement défoncé, le visage en sang." répondit-il franchement.

Les yeux de Noah étaient à présent grands ouverts, son cerveau cherchait à toute vitesse ce que Sherlock aurait pu faire, puisqu'il n'avait rien dit qui aurait pu trahir ses intentions. Elle se souvint alors de son regard. Watson n'osait pas bouger, par peur de l'empêcher de trouver quelque chose. Il avait déjà ramassé son jeune ami trop de fois, il ne voulait pas le revoir dans le même état qu'autrefois. Il était lui aussi concentré sur les différents endroits où Sherlock s'était abandonné, mais il y en avait bien trop, il n'aurait pas le temps de tous les faire, c'était certain. Surtout qu'avec sa jambe, il n'allait plus aussi vite qu'à ses trente ans. Ils étaient face à face dans ce couloir, l'un appuyé sur sa canne, l'autre plantée bien droit dans ses bottines, patins en main. Une porte s'ouvrit à quelques mètres d'eux, une nuée d'élèves se déversa dans l'espace encore vide.

Ce fut comme un déclic pour les deux comparses. Sans se saluer, ils partirent simultanément dans deux directions opposées.

Après quelques instant, la porte s'ouvrit, une canne et une paire de jambe restèrent un instant sur le seuil avant de faire quelques pas.

"Aujourd'hui, sexualité."

De son côté, l'enquêtrice par intérim, puisque c'est comme ça qu'elle s'était auto-qualifiée, avançait prudemment dans les rues de Londres bondées de touristes et autres travailleurs pressés.

Elle n'avait pas, comme à son habitude, allumé sa musique à fond. Elle semblait chercher quelque chose du regard, ou plutôt quelqu'un. Un instant son regard s'émerveilla avant de retrouver sa couleur fade et claire. C'était une fausse alerte.

Elle arpenta les rues de la ville pendant près de deux heures, avait appelé Madame Hudson et même le Starbucks où ils prenaient leurs cafés le matin. Elle s'assit sur un banc, sur le Tower Bridge. Il faisait froid, même pour un début novembre. Dès qu'elle expirait, un léger nuage s'échappait de ses lèvres. Elle fourra sa main dans son sac, en sortit ses cigarettes, chercha en vain un briquet. Noah se leva alors, cherchant du regard un endroit où en acheter, un passant à qui en demander un. Pour son plus grand bonheur, un vendeur ambulant s'installait pas loin d'elle. Elle lui demanda du feu, ainsi qu'un chocolat. Il lui tendit un mug avec une croix immense, un petit sachet de sucre et de cannelle. Comment avait-elle oublié qu'elle avait passé trois nuits sur le banc où elle s'était assise?

Elle se retourna, entreprit d'aller travailler tout en se réchauffant, elle n'avait pas de piste alors autant gagner de l'argent. L'odeur du tabac se répandait autour d'elle, cette odeur qui la réconfortait tant. Elle avait même changé de marque, pour avoir cette senteur particulière qu'il traînait partout avec lui.

Noah était assise sur sa chaise, un pied sous les fesses, penchée sur la table, une main soutenant la tête, un livre ouvert sur la table. Elle était à la page dix-huit d'une des œuvres de Conan Doyle quand quelqu'un l'interrompit.

"Excusez moi, mademoiselle, vous auriez un instant?

-Oui, bien sûr." fit-elle en relevant la tête. "Que puis-je pour vous?

-Voilà, je suis professeur dans une école primaire et je cherche un livre pour mes élèves, mais je ne l'ai pas trouvé en rayon.

-On va regarder dans le logiciel. Le nom du livre s'il vous plaît?

-Charlie et la chocolaterie."

Noah pianota quelques instants, lu quelques lignes et pointa l'écran du doigt.

"Mmh il a n'a pas été emprunté, il doit être mal rangé c'est tout. Allons voir ça.

-Merci"

En arpentant les allées, elle put observer l'homme en face d'elle. Il était ni grand, ni petit, brun, et particulièrement beau. Ses yeux étaient d'un bleu translucide, ses lèvres roses et sa mâchoire était carrée, sa peau qui avait beaucoup côtoyé le soleil et ses épaules fortes, sa silhouette élancée en disaient long sur lui: c'était quelqu'un à qui l'apparence importait beaucoup. Bien qu'il n'y eut aucune raison à cela, elle se sentit tout à coup gênée, dans sa vieille robe délavée et ses baskets plus que sales. Le regard posé sur une étagère, cherchant du doigt le fameux livre, un "got it!" la fit sursauter, elle qui était si concentrée sur sa tâche.

"Désolé de vous avoir dérangé pour rien" s'excusa alors l'instituteur. "J'aurais pu chercher tout seul. Mais tant que j'y suis, serait-il possible de faire un partenariat ou quelque chose du genre et de vous en emprunter assez pour une classe?

-Il vous faudra voir avec ma supérieure, je ne peux vraiment rien pour vous sur ce coup là. A part vous montrer son bureau." ce qu'elle fit séant.

Noah en était à la dix-neuvième page d'une des aventures du Professeur Challenger quand la porte du bureau s'ouvrit sur sa patronne et son "invité".

"On dirait qu'on se verra souvent!" lança l'homme tandis que la bibliothécaire fit un clin d'œil accompagné d'un cœur formé avec ses mains ridées à la jeune femme.

Les Voisins D'en DessousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant