Les Derniers Veilleurs, Tome 2 : Les Joyaux Mortels.

Chapitre 6

Afin de ne pas laisser paraître ma panique, je me concentre sur des choses qui n'ont aucun intérêt. Par exemple, depuis que je suis rentré, il s'est mis à pleuvoir des seaux d'eau. La chaise sur laquelle mon frère est installé est bancale. Le portrait de mon grand-père au-dessus du buffet est un peu de travers, et l'homme représenté semble attendre lui-même que je prenne une décision. Je croise le regard de mon père. Je lis sur ses lèvres la seule chose qu'il ne m'a jamais dit de vive voix, « je t'aime ». Il se lève lentement et fait face à Lewis.

-Tu détruis notre famille.

-La ferme ! S'écrie-t-il en poussant mon père sur le fauteuil, tout en me faisant sursauter.

-Papa.. je murmure. Je..

-Ne les tue pas, déclare Kilya.

-Mais, je ne peux pas..

-Si tu le fais, tu deviendras comme lui, et tu te sentiras coupable de cela toute ta vie.

-Mais si je vous perds..

-Il ne nous tuera pas, dit Drew en se levant à son tour. Il est trop faible.

Lewis, qui avait suivi la conversation avec attention, ricane et lève son épée.

-Bien entendu. Vous ne me croyez pas capable de faire ce que j'ai à faire pour récupérer ce qui m'appartient...

-Je ne t'appartiens pas ! Je m'exclame.

-Il semblerait donc que tu aies fait ton choix, ma belle. J'ai fait le serment de faire de toi une waräan, quels qu'en soit les moyens.

-Tu..

Sans que personne n'aie le temps de réagir, Lewis abat son épée et tranche la gorge de mon frère, qui s'écroule sur le sol. Tandis que ma mère et Leïla poussent un cri de douleur, je suis trop secouée pour réagir. Ma sœur se jette dans mes bras et mon père se rend au côté du corps inconscient de son fils. Comme moi, mon père ne laisse paraître aucune émotion sur son visage, mais je sais qu'il est bouleversé. Je repousse lentement Kilya et me tourne face à Lewis.

-Arrête ça tout de suite, je dis, le plus calmement possible, alors qu'il vient juste d'arracher une partie de moi.

-J'arrêterai lorsque je verrais tes yeux s'emplirent de doré. Ton frère n'est que la preuve que je peux tuer toute ta famille, s'il le faut. Toi seule est capable d'arrêter ce carnage.

Je prends une grande inspiration et déclare :

-Je vais le faire, donne moi l'épée.

Lewis me tend l'arme avec un grand sourire. Lorsque je ferme la main sur le manche, tout le courage accumulé en moi s'évanouit. J'avais prévu de tuer non pas les deux veilleurs mais Lewis, ce qui m'aurait évité un max de problème, je vous l'assure. Seulement, je ne peux me résoudre à éliminer l'homme que j'ai aimé pendant si longtemps, même s'il peut désormais être qualifié de meurtrier. Une idée me vient alors à l'esprit. Je m'approche lentement des deux veilleurs après avoir ramassé les bagues. Je tente de gagner du temps en plaçant très lentement les bagues à mes doigts. Je plonge mon regard dans celui du veilleur.

-Allez-y, souffle-t-il. N'hésitez pas. Sauvez votre famille. Notre vie ne rime plus à rien.

Je brandis l'épée au-dessus de ma tête et inspire profondément.

-J'aimerais tenter autre chose, dis-je.

Je fais volte face et j'assène un coup de pommeau sur la tempe de Lewis avec toute la force que j'ai pu trouver. Il tombe à genoux avant de s'étaler de tout son long sur le sol.