flashback : 26 février 2013 – New York University Hospital, NY
omniscient
Assis dans son lit, les yeux fixés à la fenêtre de sa chambre, Miles essayait tant bien que de mal d'ignorer le regard perçant du médecin assit sur le fauteuil. Elle devait avoir la quarantaine, blonde, yeux marrons et lunettes rondes. Le genre à vous poser des questions auxquelles vous ne pouvez pas répondre pour, au final, vous sortir un diagnostic basé sur quelques phrases.
Il n'était pas en dépression.
Il n'était pas dépressif.
Il le savait et avait beau le clamer sur tous les toits personne ne semblait vouloir le croire ; pas même ses parents. Du coup il se sentait trahit, blessé et il se renfermait toujours un peu plus sur lui-même.
« -Qu'est-ce que tu ressens Miles ? »
Question compliquée à réponses multiples ;
Numéro une : la peur. Peur de mourir, de quitter ce monde.
Numéro deux : la souffrance. Oui, il avait mal. Physiquement et mentalement.
Numéro trois : la colère, que ça tombe sur lui. C'était égoïste, certes, mais il ne pouvait s'empêcher d'être énervé.
Et numéro quatre, la dernière : la solitude. Il se sentait seul et incompris, seul avec ses démons qui l'empêchaient de dormir la nuit.
« -Rien. » souffla-t-il.
« -Ce n'est pas possible. Tu ressens forcément quelque chose. »
« -Mes médicaments sont plutôt forts et, à part la fatigue, je n'ai rien à dire. »
« -Fais un effort, s'il te plaît. Tu te sens triste, tu as peur, tu es en colère aussi, c'est normal. Tu sais je travaille avec les enfants malades depuis une dizaine d'années, certains de mes patients sont maintenant dans les plus grandes universités du pays et d'autres, malheureusement, n'ont pas survécu à la maladie. Hier j'avais rendez-vous avec une petite fille de cinq, elle s'appelle Gabrielle, elle n'a plus de cheveux, ne va plus à l'école parce que les autres enfants ont peur d'elle. Elle m'a dit qu'elle était triste de se retrouver seule et qu'elle avait mal à cause du traitement, elle n'est pas énervée parce qu'elle ne se rend pas compte qu'elle risque de mourir. Mais moi je le suis, ses parents le son, c'est injuste. Ca ne l'est pas que pour toi, Miles. Avoir le cancer, c'est injuste à n'importe quel âge et pour n'importe quoi. Il ne faut pas avoir honte de se dire qu'on aurait préféré que cela tombe sur quelqu'un d'autre ; parce contre, il faut m'en parler. Je suis là pour ça. S'il te plait. »
Il imagina la petite fille, seule dans son lit et se dit qu'il avait au moins la chance de pouvoir compter sur ses proches. Et sur ses amis. Et sur Adelyn, qui ne l'avait pas abandonné comme il l'avait cru.
« -Je me sens en colère ... et je me dis que ça ne changera rien, finalement, que je meure ou pas. Les étoiles brilleront toujours, la terre tournera encore, il n'y aura pas de flash info à la télévision et la vie continuera sans moi. Alors je me demande à quoi ça peut bien me servir d'essayer de me battre, de me fatiguer à ce point pour arriver au même résultat. La mort. »
« -La vie n'est qu'une succession de batailles et on arrive tous au même résultat, Miles. Alors, oui, la lune restera le satellite de notre planète et les étoiles seront toujours dans le ciel mais crois-moi, c'est des conneries de penser que ta mort ne changera rien. » elle remonta ses lunettes sur sa tête. « Ne me dis pas que ton meilleur ami ne passera pas une semaine à fixer ta chaise vide à a table de la cantine, essayant de combler le manque de ta présence. Ne me dis pas que tes frères et ta sœur ne se mettront pas à pleurer en voyant une photo de toi ou ne repensant à l'un de vos fabuleux souvenirs. Ne me dis pas que ta petite-amie n'enfilera pas le dernier sweat que tu as porté pour essayer de sentir une dernière fois ton parfum. Ne me dis pas que ta mère ne se regardera pas dans le miroir, pendant ses insomnies, les yeux rouges et les lèvres tremblants en se disant qu'elle préfèrerait te ramener de l'hôpital plutôt que de venir te voir au cimetière. Ne me dis pas que ton père ne passera pas son temps au travail, préférant s'absenter de la maison plutôt que d'affronter son calme soudain et pensant. Ne me dis pas que tes amis ne resteront pas sous le choc quand le proviseur annoncera ta mort à l'ensemble des élèves du lycée. Tes proches se ficheront pas mal de la lune et des étoiles à ce moment-là. Ils espèreront seulement avoir la chance de passer quelques minutes de plus avec toi ; c'est tout. La planète pourrait bien s'arrêter de tourner qu'ils ne s'en rendraient pas compte, crois-moi. Parce que si ta vie a changé la leur, ta mort le fera aussi. »
Quelques heures plus tard, le diagnostic tomba. Miles n'était pas dépressif, parce qu'il n'était pas seul et qu'il venait d'en prendre conscience.
*
''Parce que si ta vie a changé la leur, ta mort le fera aussi.'' Cette phrase résonnait dans l'esprit du garçon depuis que la psy avait quitté sa chambre et depuis qu'il était assis sur ce fauteuil, en pleine chimio. Cela lui permettait de se concentrer sur autre chose que sa douleur et la nausée.
« -Tout va bien Miles ? » demanda gentiment l'infirmière qui reçut un hochement de tête et un léger sourire. « C'est fini. Je t'enlève tout ça mon grand. »
Le jeune homme fut soulagé. Des fois, il se disait que le pire dans tout ça, était le traitement. Après tout, il avait vécu avec un cancer dans son corps qui s'était déclaré sous forme d'état grippal. Il ne souffrait pas, avant. Avant qu'on lui dise quelle maladie il avait vraiment.
Voilà, c'est ça : le nom. Le nom faisait plus mal que le reste. Le nom, parce quand on vous dit que vous avez une jambe cassée, ça ne fait pas aussi mal que quand on vous annonce que vous êtes cancéreux. Il le savait, il avait expérimenté les deux. Le cancer agit bien plus profondément qu'on le pense ; il vous grille le cerveau, vous prend vos bons souvenirs, vous apporte que de la noirceur. Vous êtes mort psychologiquement avant qu'on vous déclare décédé d'une tumeur.
Il savait que la psychologue avait simplement voulu rendre les choses plus simples pour lui en disant qu'il n'était pas dépressif. Sauf qu'il l'était. En surface, il ne voulait pas l'être et à l'intérieur, il le savait. Le cancer gagnait du terrain, pas seulement dans son sang mais aussi dans son esprit. Il ne voulait pas le laisser faire, il en était hors de question. Mourir, oui ; mourir dépressif, non.
Il avait décidé de mourir heureux, de mourir en ayant fait le plus grand nombre de choses possibles. Et peut-être qu'il ne mourra pas ? Dans ce cas, il vivra heureux. Ce qui est sûrement la plus belle chose au monde : vivre.
Quand l'infirmière l'aida à s'installer sur son lit puis qu'elle sortit de la chambre, il attrapa son téléphone pour parler avec ses amis. Il s'excusa de son 'absence' (si l'on pouvait qualifier son silence d'absence) et décida de les rassurer en disant qu'ils se verraient à sa prochaine sortie. Néanmoins, il refusait d'avoir des visites en ce moment. Il se sentait trop mal.
Certes, il avait revu Adelyn lors de l'anniversaire de Brent mais c'était chez lui, dans un contexte plus jovial que dans sa chambre d'hôpital. Pour le moment il appréciait le fait d'être seul, il n'avait pas à parler de la douleur qu'il ressentait avec son traitement et donc, il n'inquiétait personne. Bien sûr, ses parents venaient le voir tous les jours, surtout sa mère qui travaillait dans l'hôpital ; et bien sûr, ses parents savaient qu'il avait mal seulement ne pas le dire semblait atténuer la douleur. Et ça leur faisait du bien, à tous.
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petit flashback, je m'en excuse /modifié le 25 septembre/
j'espère que le prochain chapitre arrivera plus rapidement : mais en semaine je n'ai pas envie d'écrire, je ne sais pas comment expliquer. donc j'attends généralement le weekend.
laissez vos avis tout de même :)
+ je tiens à préciser que le texte de la psy vient de tumblr et que je l'ai changé pour qu'il colle a l'histoire ; je ne fais jamais ça d'habitude, mais le texte était tellement beau que je ne pouvais pas passer à côté.
++ merci à cravingmatthew pour la couverture ♥
-marie, xx
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WELCOME TO MY FUNERAL
General Fiction« -Je veux mourir en ayant eu la vie dont j'ai toujours rêvé.»