flashback : 25 mars 2013 – Weehawken, NJ
omniscient
Tout le monde le regardait. Les plus jeunes, les plus vieux, son histoire avait fait le tour de l'établissement. Certaines personnes se contentaient de regards détournés, d'autres de sourires timides tandis que quelques élèves venaient le saluer, ceux qu'ils connaissaient plutôt bien, les gars de l'équipe et les professeurs qu'il croisait. Miles Anderson le survivant, le battant. Miles Anderson, le retour, la renaissance. Peut-être stupide comme expression mais c'était littéralement ce que Miles ressentait. Il ne sentait plus le vent dans ses cheveux, mais il le sentait sur son visage ; ses oreilles bourdonnaient des différents sons du lycée, de la ville, et il commençait seulement à apprécier ces bruits. C'est triste, c'est stupide mais c'est vrai : c'est seulement lorsqu'on a l'impression d'avoir tout perdu qu'on commence à tout apprécier.
Malgré ça, Miles ne se sentait pas vivant. En fait, il avait plutôt l'impression qu'il ne pourrait plus jamais l'être, qu'il ne vivrait plus jamais vraiment, qu'il devrait se contenter de survivre. Ne vous méprenez pas, il en était reconnaissant, oh oui plus que n'importe qui, mais quand même, cette impression n'était pas des plus agréables. Il regardait les gens autour de lui, vivre, insouciants de la chance qu'ils avaient, et il ne se sentait plus dans le même monde. Il avait envie de leur crier de se réveiller, envie de leur crier qu'ils ne devaient plus prendre tout ça pour acquis parce que tout, c'est rien et ça s'en va plus vite qu'on peut le penser. Il voulait leur dire d'ouvrir leurs yeux, leur dire de remercier les gens qui étaient présents pour eux avant qu'il ne soit trop tard. Leur dire que ça n'arrivait pas toujours qu'aux autres, parce qu'on était tous des autres pour quelqu'un.
Miles-le-survivant n'était pas le même Miles. Parce que Miles-le-survivant avait frôler la mort, parce que Miles-le-survivant en était revenu. Parce que Miles-le-survivant avait survécu, et que peut de personnes pouvaient s'en vanter. Quoique personne n'aimerait s'en vanter, Miles-le-survivant le dernier. Mais c'était devenu son surnom officiel parce que les gens trouvaient ça amusant, et ... glorifiant ? Surtout parce qu'ils ne voulaient pas ouvrir les yeux sur la vérité : Miles n'avait pas vraiment survécu, Miles n'était pas vraiment Miles, Miles ne le redeviendrait jamais. Mais c'était plus facile de faire comme si tout allait bien, maintenant, parce qu'il reprenait les cours et qu'il reprenait sa vie d'avant. Sauf qu'une question restait en suspens dans son esprit ... Comment pouvait-il reprendre sa vie d'avant puisqu'il n'était plus celui d'avant ?
Il n'était plus un adolescent souriant, sportif, aimable, généreux, musicien, protecteur, toujours là pour aider. Maintenant, un mot de plus pouvait le qualifier, et il aurait préféré que ce ne soit jamais le cas : 'rémission', Miles était un adolescent en rémission et il n'arrivait plus à sourire. Ses lèvres s'étiraient, ses yeux restaient ternes ; et il leur faudra un certain temps avant qu'ils ne retrouvent cet éclat si particulier, si Miles ... Encore fallait-il qu'ils puissent le retrouver.
*
« -Bonjour coach. » Miles ne parlait pas très fort, il n'en avait pas vraiment la force.
Le coach – un homme proche de la cinquantaine, les cheveux grisonnants, bien bâtis mais pas bedonnant, le regard chaleureux et toujours habillé de ses survêtements aux couleurs du lycée – posa rapidement sa feuille d'appel pour le prendre dans ses bras. Une accolade rapide qui fit chaud au cœur à Miles.
« -Mon garçon. C'est bon de te revoir ici ! »
Ici. Le vestiaire. Lieu contenant tellement de choses, de souvenirs, que Miles crut en pleurer. Peut-être pleurait-il de l'intérieur en voyant les rangées de casiers rouges, les vêtements sales et oubliés (maintenant perdus, comme lui) sur le sol, les serviettes humides sur les bancs, ses coéquipiers. Le bandeau de quarterback au bras de Jordan, qui lui fit un léger sourire. Voir cet environnement dans lequel il avait l'habitude d'évoluer le déchirait de l'intérieur, il devait en pleurer.
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WELCOME TO MY FUNERAL
General Fiction« -Je veux mourir en ayant eu la vie dont j'ai toujours rêvé.»