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samedi 22 décembre 2015 – Weehawken, NJ

omniscient

Miles se réveilla par un mal de crâne lancinant. Il se demanda où il était et il lui fallut quelques secondes pour se remémorer la veille : son arrivée tardive à JFK, les retrouvailles avec sa famille (qui était soulagée de le voir sans problèmes apparents) puis le retour à la maison.

Son lit bougeait, ou alors sa maison, ou bien peut-être qu'il pouvait sentir la terre tourner, la voir, peut-être parce qu'il n'était plus dessus. Était-il mort ? Tout ça n'était peut-être qu'un rêve, après tout, et peut-être qu'il était mort ce fameux deux avril 2014 ? Il se pinça et poussa un soupir. Il était bien sur terre, bien vivant et c'était dans sa tête que ça bougeait. C'était son sang qu'il sentait couler sur son visage, ses joues, dans son cou, pour finir sur les draps. Il essaya de se relever, mais n'y arriva pas alors roula sur le côté pour atterrir par terre et alerter ses parents, endormis dans la chambre juste en dessous.

La lumière du couloir s'alluma rapidement et les pas inquiets de sa mère, qui montait les escaliers, se firent entendre. Sa porte de chambre fut ouverte à la volée, claqua contre le mur et Sandy se précipita directement sur lui pour soulever sa tête et stopper les saignements à l'aide d'un mouchoir. Elle appela Jorge et Layne et ce fut toute la famille qui se réveilla. Paige attrapa Brent dans ses bras pour lui éviter de voir ce spectacle tandis que Layne aidait son père à transporter son frère dans la voiture.

Ils arrivèrent le plus vite possible à l'hôpital, et Miles fut prit en charge. Pas d'opération, Miles l'avait précisé lors de son dernier rendez-vous ; s'il devait partir, il fallait le laisser faire, pas essayer de le retenir. Ses choix étaient respectés.

Mais ce n'était pas encore son heure.

*

– New York University Hospital, NY

Il était 8am quand il ouvrit enfin les yeux. Sandy réveilla Jorge qui s'était endormi sur une chaise de la chambre et il alla chercher une infirmière qui vérifia si tout allait bien.

«  -Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » croassa Miles, la bouche sèche.

«  -Tu as fait une petite crise cette nuit. Tu te souviens ? »

«  -Hum ... » il ferma un peu les yeux. «  Désolé. » sa voix n'était qu'un murmure, il regarda d'abord sa mère puis son père.

La première fois qu'il s'était excusé, Jorge l'avait repris en disant qu'il n'avait pas à être désolé, que rien n'était de sa faute. Cette fois-ci, il ne le fit pas. Pas parce qu'il pensait que Miles y était pour quelque chose, au contraire. Seulement, il savait que rien ne pourrait le faire changer d'avis. Il savait aussi qu'il n'y avait simplement rien à dire. Son fils était passé à deux doigts de la mort, cette nuit. Son fils allait mourir dans quelques jours. Plus aucune parole ne suffirait. Plus aucune parole n'avait de sens puisque bientôt sa vie n'en aurait plus. Miles. Miles allait mourir. Plus on approchait de cette date fatidique, plus Jorge en souffrait, plus il avait l'impression de rêver.

Jorge s'était toujours dit qu'il verrait ses enfants grandir, prendre leur envol jusqu'à ce que ses petits-enfants fassent leur apparition et alors l'histoire se répéterait. Il s'était dit qu'il mourrait heureux, entouré d'une grande famille, avant Sandy. Surtout, il s'était dit qu'il mourrait avant ses enfants. Dans la logique des choses, c'est ce qui est censé arriver. Un parent ne devrait pas avoir à enterrer son enfant. Là, c'était pire que ça. Miles avait un cancer qui le tuait à petit feu, tous les jours, depuis la date fatidique du dix janvier 2013, il voyait son fils mourir un peu plus que la veille. Miles et les chimio, Miles et les cernes, Miles et la dépression, Miles et ses cernes, Miles sans ses cheveux, Miles amaigri, Miles sans solution pour survivre. Et même lorsqu'il était en rémission, son fils n'était plus son fils. Miles qui ne sourit pas, Miles qui ne parle pas vraiment. Et Miles qui rechute, Miles à l'hôpital, Miles et les chimio, Miles et les cernes, Miles sans ses cheveux, Miles amaigri, Miles condamné.

Une histoire s'était répétée, mais pas la bonne. Il avait vu son fils mourir, vu de ses yeux vu, mais il respirait encore, jusque-là. Bientôt, ce ne sera plus le cas, cette perspective lui faisait plus peur que n'importe qu'elle autre, plus peur que la fin du monde, plus peur que si la terre s'arrêtait de tourner. Sa mort – la vraie – le tuerait un peu, lui aussi. Ils étaient tous condamnés. Lui, Sandy, et leurs enfants et il ne savait pas si il pourrait supporter de voir Layne, Paige, Brent, abîmés par cet expérience, abîmés par la perte de leur frère, si jeunes et pourtant ayant déjà touché la mort du bout des doigts.

Alors si Miles était désolé, lui l'était encore plus.

WELCOME TO MY FUNERALOù les histoires vivent. Découvrez maintenant