Louve

Chapitre 27

Je grimpais sur le dos de Gueule-de-Nuit et Nath m'y rejoignit, son corps collé contre le mien, nous nous agrippions tant bien que mal alors que la course de la Louve rendait le paysage floue pour nos yeux d'humains. Elle s'arrêta enfin au pied d'un arbre gigantesque. Le lieu entier resplendissait mais était empreint d'une mélancolie poignante. Nous glissions sur le sol alors que des loups efflanqués sortaient d'un trou sous les racines de l'arbre. Cœur-de-la-Meute nous rejoignait enfin, la langue pendante sur le côté.

-Est-ce que tu le sens toi aussi ? La tristesse qui se dégage de ce lieu ?

Glissais-je en murmurant à Nathaniel.

-Oui. Ils l'appellent l'arbre de vie, mais il semble mort depuis des lustres. Il est gigantesque !

Les loups pathétiques se dressaient sur leurs pattes, nous dévorant des yeux... Littéralement. Une faim dévorante emplissait leurs regards ternes. S'ils le pouvaient, ils nous déchiquèteraient sur place.

Je prenais la main de Nathaniel pour qu'il ne s'éloigne pas de moi. Pour le moment, il est encore une proie pour eux.

-Frères et sœurs... Je vous amènes les élus.

-Il est trop tôt Gueule-de-Nuit, l'un d'entre eux n'est rien qu'un peu de viande...

Les grondements affirmatifs s'élevaient de la gorge de la meute rassemblée ici.

-Il deviendra bientôt l'un des nôtres, il nous as sortis mon hôte et moi de la folie...

-Où sont les autres ? Demandais-je à Gueule-de-Nuit.

Je parlais bien entendu des Dieux loups liés à mes amis, ceux que je considérais déjà comme les miens.

-En sommeil au cœur de la tanière. Il ne peuvent courir lorsque leurs hôtes sont éveillés.

J'en concluais donc que Nathaniel et moi étions soit plongés dans le sommeil, soit mort... mais je penchais plutôt pour l'autre option.

Gueule-de-Nuit tourna son immense tête poilue vers moi.

-Tu trouveras sur l'autel une lame d'os sculptée, tu connais le rituel, exécute-le.

J'hochais la tête et me dirigeais vers une pierre plate posée sur une racine. J'attrapais le poignard entièrement en os sculpté, me dirigeant sans peur vers la Louve puis entaillant sa chair à l'épaule afin d'avoir sur la lame son sang scintillant. J'en déposais quelques gouttes sur la pierre, recommençait ensuite la manœuvre sur chacun des loups présents. Je dirigeais ensuite mes pas vers Nath.

- Donne-moi ton bras.

Il s'exécuta malgré le fait qu'il se doutait que je lui ferais du mal. Il grimaça mais pas un son ne sortit de sa bouche lorsque la lame effilée trancha la peau. Je prélevais quelques gouttes que j'ajoutais aux autres. Nathaniel semblait plus intrigué qu'effrayé. Un bon point pour lui.

Venait ensuite mon tour. J'ouvrais la main gauche, faisant glisser la lame sur la paume pour l'entailler. Je mélangeais ensuite les différents sangs ensemble du bout des doigts et tendais la main aux loups qui chaucun à leur tour vinrent lécher le fluide vitale. Lorsque tous l'eurent fait, je tournais la tête vers Nathaniel.

-Toi aussi.

Il s'approcha de moi, mais je voyais l'hésitation dans son regard. Ça devait être trop pour lui.

-Approche. Lui dis je en tendant la main saine vers lui.

Il s'approcha et pris la main que je lui tendais. J'avais déjà vécue cette expérience, le partage des souvenirs, mais pas d'aussi ancien que ça. C'est ainsi que l'on faisait pour savoir ce qu'il s'était passé pour les membres de la meute lorsque nous sommes séparés longtemps. Nous cumulions les savoirs et les souvenirs les uns des autres.

Je me léchais la paume de la main puis embrassais Nathaniel avant qu'il n'ai le temps de réagir. Glissant ma langue entre ses lèvres en un baiser fougueux qui me ressemblait. Le goût métallique du sang s'effaçait peu à peu alors que dans mon esprit je voyais les premiers hommes marcher sur terre. Les courses folles dans les bois, la fuite toujours plus au cœur des terres, la saveur de la chasse et l'étrangeté des villages humains. Le premier homme à sceller le pacte et la création des Terres des Chasses Eternelles. Son déclin au fur et à mesure que les loups disparaissaient. Je ressentais leurs tristesses, leurs rages, leur désespoir avec plus de puissance que jamais.

Lorsque je revenais à moi, Nathaniel était toujours dans mes bras. Je sentais les larmes qu'il versait glisser sur ma peau. Il voyait pour la première fois ce que nous avions fait, nous les hommes. J'avais ressentie de la culpabilité moi aussi autrefois.

-Ne pleure pas, nous ne sommes pas responsables du passé. Nous, nous créerons l'avenir.

Je me détachais de lui, reprenais le poignard, suivant mon instinct et me laissant guider par le murmure des esprits de la forêt que je sentais en lui. Je lui prenais la main et l'entaillais comme la mienne, posant ensuite ma peau blessée sur la sienne en mêlant notre sang. Je l'attirais ensuite vers l'arbre mort, l'enjoignant à poser comme moi sa paume ensanglantée contre le troc rugueux.

Celui-ci semblait aspirer nos vies, se gorger du liquide qui coulait maintenant de plus en plus vite. Le tronc terne et gris prenait une teinte rouge vive, les branches nues s'emplirent de feuilles rouges et or, couleurs d'un automne riche. Ça me faisait penser à une chasse au cerf partagée avec Gueule-de-Nuit dans une forêt profonde où le sol était tapissé de feuilles écarlates qui crissait sous nos pattes...

J'ouvrais les yeux, au loin, j'entendais le brâme du cerf. Dans cette période, sa chair est tendre et grasse. Je salivais malgré l'état de faiblesse dans lequel je me trouvais. Nathaniel était désormais à genoux, il glissait le long du tronc en laissant une empreinte sanglante, moi-même, je me sentais glisser dans l'inconscience.

-Merci fille des loups.

Et puis soudain, le noir total.