Chapitre 33

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 Des années plus tard

J'avais réussie à monter tout en haut de la tour délabrée, sur le toit de celle-ci, le spectacle de la ville désolée s'offrait à nous. Les bâtiments souffraient de la perte d'entretien. Les hommes désormais trop peu nombreux ne suffisaient plus à maintenir les murs de briques et de béton en l'état. La nature reprenait ici et là ses droits. Un arbre vigoureux brisait de ses racines le bitume de la rue principale, des nids d'oiseaux dissimulaient parfois le haut des lampadaires, des plantes grimpantes partaient à l'assaut des coins d'immeubles. Des fleurs et des mauvaises herbes s'étaient immiscées dans chaque fissure, chaque interstice laissé par les murs fragilisés.

-J'ai soif de sang.

-Moi aussi. Écoute !

Je tendais l'oreille, en bas, dans les décombres d'une maison, un animal fouissait le sol. Je humais l'air, le vent chargé d'odeur soufflait dans notre direction.

-Sanglier.

-Oui. De la bonne chair grasse.

Je salivais. Je tournais le regard vers le sommet d'un bâtiment situé en face. Faisait signe à Nathaniel d'observer la maison, même si Cœur-De-La-Meute à ses côtés avait déjà pointé son nez dans cette direction.

J'observais les alentours, nous étions seuls pour cette chasse, et vus le vacarme dans la maison dévastée, j'avais dans l'idée que ce sanglier n'était pas une petite bête...

L'excitation me donnait des frissons le long de la colonne vertébrale, la chasse serait belle pour tout les quatre. Je me penchais par-dessus le parapet, le sol, des mètres plus bas ne me faisait plus peur depuis longtemps. Je n'étais plus vraiment humaine.

-Prête ma sœur ?

-Prête, allons-y.

Je sautais dans le vide, me réceptionnant avec souplesse sur le sol, donnant ainsi le signal du départ. Gueule-De-Nuit atterrissait avec souplesse à mes côtés. Le bruit mat de notre réception combinée à celle sinistre du sol se brisant sous nos pieds avait alerté la bête qui avait cessé de fouiner dans la bicoque à quelques mètres de là.

Nathaniel et Cœur-De-La-Meute avaient également pris pieds sur le bitume un peu plus loin. Nous nous approchions en tenaille de la maison, le silence qui régnait maintenant faisait vibrer mes tympans au rythme des battements de mon cœur.

Silence brisé par le vacarme que fis le mur de la maison alors que la bête gigantesque passait au travers en courant pour tenter de nous échapper.

Nous nous élancions tous à sa poursuite, bientôt, je courais au côté de Nathaniel, tout les deux nous avions sur le visage un sourire carnassier, les yeux luisant d'exaltation non dissimulée. La lame d'argent dans ma main ne pesait rien, les loups nous dépassèrent un instant, le sanglier continuait sa course désespérée. Il savait que nous étions tout les quatre les maitres de ce lieu, que sa vie était perdue, mais comme une offrande aux Dieux, il continuait sa course afin que la chasse soit belle.

Nous maintenions maintenant notre allure, la bête, le poitrail recouvert d'une mousse de sueur, était essoufflée. Ses pattes courtaudes tremblaient alors qu'elle s'arrêtait enfin pour faire face vaillamment à la mort. Elle attendait ses adversaires.

A tour de rôle, nous la harcelions, laissant dans sa chair des traces rouges vives qui à leur tour coloraient le sol d'écarlate. L'odeur du sang, puissant, envahissait nos narines. Impatiente, je passais la langue sur ma lame désormais recouverte. Dans un dernier sursaut d'énergie, le sanglier chargea Gueule-de-Nuit. Elle le feinta sans peine, sa mâchoire puissante enserrant désormais le cou de la bête, ses crocs s'insérant dans sa chair. Lorsque le manque d'air devint trop important, les pattes avant de la bête cédèrent sous son poids, il s'écroula sur le côté, agité de soubresauts convulsif alors que la vie le quittait. Je m'approchais et enfonçait d'un coup la lame dans son cœur, mettant un terme à ses souffrances.

Comme les autres, je me gavais de chair et de sang frais, repus, nous retournions à la tanière prendre un repos bien mérité, laissant aux charognards les restes de l'animal qui prenait déjà sous le soleil de plomb l'odeur de la mort.

Allongée dans la clairière aux fleurs, la tête posée sur le torse de Nathaniel, je laissais mon esprit vagabonder.

-A quoi tu pense ?

Me demandait mon compagnon.

-Au passé, cette troisième guerre mondiale a été une aubaine pour nous.

-C'est vrai. Qui aurait-cru que les hommes s'autodétruiraient d'eux même ? Les radiations nous ont épargnés, une chance...

Je passais la main sur son visage, effleurait ses lèvres et me félicitait que la protection des Dieux-loups se soit étendue aux nôtres. La déchéance des humains avait été sale, je n'aurais pas aimé partager leur sort...

A la pensée des chairs en décompositions des années passées, un haut-le-cœur me saisit soudain. Je me relevais en hâte et régurgitait mon dernier repas. Surprise par cette faiblesse soudaine. Je me sentais mal et ça ne m'étais pas arrivée depuis.... Ma condition d'humaine en fait. Je tournais un regard surpris et apeuré vers Gueule-De-Nuit.

-Qu'est-ce qu'il m'arrive ?

-La vie poursuit son chemin fille des loups...

Nathaniel s'était levé et il me frottait le dos pour me calmer...

-ça va aller ?

Me demandait-il.

-Je... Je ne sais pas !

Iris sortait en trombe de la tanière.

-Un nouveau louveteau ! Il y a un nouveau louveteau dans la tanière.

Je lançais un regard étonné vers Nathaniel avant de suivre Iris qui était redescendue dans le trou sous l'arbre. Effectivement, la lumière chiche qui pénétrait par l'entrée révélait entre les racines à nue un louveteau blanc comme la neige. Plus blanc qu'aucun autre. Gueule-de-Nuit passa son nez sous mon bras, je levais celui-ci pour lui gratter la tête comme elle aimait que je le fasse pour elle.

-Qu'est-ce que ça signifie Gueule-De-Nuit ? Il n'y a plus d'homme en mesure d'être lié à lui pourtant.

-Il y en aura un bientôt...

Je la regardais, perplexe, je ressentais ses émotions passer, notre empathie commune nous permettait de savoir des choses sans employer la parole.

-Ce n'est pas possible....

Nathaniel tourna les yeux vers moi, se relevant après avoir passé la main dans la fourrure duveteuse du bébé loup.

-Qu'est-ce qu'il se passe ?

Il me regardait avec un air inquiet, en même temps, je ne devais pas avoir l'air très bien, sous le choc de la révélation qui faisait progressivement chemin en moi.

-Je suis enceinte....

-Oui, tu es pleine. Une nouvelle ère vas commencer, Alpha des hommes...

LouveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant