Chapitre 15

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Pdv Lauren

Inlassablement, je faisais les cent pas dans ma chambre, tournant en rond sans but précis hormis peut-être celui de me vider la tête. Si c'était le cas, autant dire que l'initiative n'était pas très fructueuse. Plus que les autres jours, j'étais assayie par des milliers voire des millions de pensées qui se succédaient à une vitesse impressionnante, intenable, c'en devenait vraiment énervant mais surtout, ça me donnait la déplaisante impression que mon cerveau allait exploser sous le poids des informations qui y affluaient de manière plus ou moins récurrente. Je croulais sous des souvenirs qui me brisaient intérieurement, qui étaient comme des fils barbelés qui entouraient et écorchaient mon coeur. Trop de mots que je ne pouvais effacer, trop d'images qui, même incinérées dans les tréfonds de mon âme, refaisaient sans cesse surface. Ça envahissaient mon esprit et, lentement mais sûrement, conqueraient celui-ci. Pourtant, je ne voulais pas réfléchir, je ne voulais plus penser, j'en venais même à vouloir oublier. Mais rien n'y faisait, mon intellect était en ébullition, submergé par ce que je ne savais taire. Le lieu n'aidait pas à calmer mon mental déchaîné non plus mais de toute manière, ici ou ailleurs qu'est-ce que ça changerait ? Je ne souhaitais pas être dans ma chambre, pas plus que je ne souhaitais être dans le salon ou dehors. Chaque espace avait désormais sa connotation négative et je ne me sentais véritablement en sécurité nulle part, même pas dans ma propre habitation. Je n'avais aucun endroit où m'échapper, où me cacher. Où que je sois, j'avais l'impression qu'on me traquait, que tous les regards étaient posés sur moi et me deshabillaient littéralement. Qui me disait que les autres n'étaient pas capables d'imiter ces actes d'une inqualifiable violence, d'une dureté et d'une froideur effrayantes ? Je ressentais presque encore ces doigtés qui étaient autant de cicatrices béantes gravées dans ma chair et invisibles à l'oeil nu, je me rappellais de ce regard, si différent de tous les autres, si calme et pourtant ce fut le plus terrible et terrifiant que ma courte vie m'avait permis de voir, je me ressassais involontairement toutes ces phrases qui n'avaient jamais semblées si affreuses qu'au moment où elles furent prononcées ... J'étais la proie dans un monde rempli de chasseurs et, selon moi, personne n'hésitera à dégainer et à brandir son fusil avant de tirer toutes ses munitions si l'occasion se présentait. Et si ils n'avaient pas sur eux de pistolets, Dieu savait que l'ingéniosité humaine pouvait transformer le plus innocent des objets, la plus insoupçonnée et banale des parties du corps en une machiavélique arme pouvant vous perforer. À mes dépends, je savais que la perfidie animait nombre de personnes et que les scrupules ne trouvaient guère leurs place parmis les multiples désirs incontrôlés de certains ...

M'écroulant sur la chaise roulante usée qui reposait près de mon bureau, je pris ma tête entre mes mains, fixant stoïquement le parquet terne et abîmé par endroits. Je ne savais plus si je devais regretter ou non ma décision, ce n'était pas rien après tout. D'un claquement de doigt, j'avais décidé de tout arrêter, de rompre ces liens que personne ne pourra restaurer après coup. Et puis, en y réfléchissant plus en détail, c'était d'une grande lâcheté de tout conclure ainsi sans regarder en face les conséquences de mes actes. Mais pour une fois, à travers ma pleutrerie, une once de courage pouvait être décelée. De toute manière, je n'avais pas franchi le pas sans avoir auparavant mûrement réfléchi. C'était ce qu'il y avait de mieux à faire pour moi, pour tout le monde, on en conviendra aisément même si cela fera grincer les dents de quelques-uns. Je m'étais méprise sur toute la ligne, l'espoir n'avait pas sa place dans l'histoire et j'aurais dû le savoir depuis le début. Je le savais en quelque sorte mais j'avais baissé la garde et ce me fut fatale puisque ça avait précipité la suite d'événements qui causaient cette amère conclusion. Dans le fond, j'avais des regrets, des centaines de remords que j'emporterais et traînerais silencieusement avec moi, des envies inaccomplies qui me laissait en bouche un goût de ... De défaite d'une certaine manière, d'honteux abandon. Mais, parfois, mieux vaut se retirer et tout laisser tomber lorsque même la plus microscopique des chances venait à s'éteindre, lorsque l'histoire qui suivra promettait d'être si sombre et triste qu'on ne voulait même pas en connaître la fin. Donc je refermais le livre maintenant afin de sauver ce qu'il était encore possible de sauver. Au moins, certains chapitres de celui-ci resteront gais, agréables et je dirais même plus, inoubliables et exultants. Mais je constatais tristement que cela n'avait pas suffit, la finalité était rester identique à celle que je prévoyais au départ. En parlant de bouquin, mon regard, maintenant distraitement posé sur mon bureau, buta sur une couverture rouge que je connaissais parfaitement et encore, c'était un euphémisme de dire cela. Ce carnet était en aussi piteux état que je ne pouvais l'être, c'était presque ironique de constater qu'il avait évolué au même rythme que moi. L'étiquette collée sur la couverture s'était détériorée, si bien qu'on ne pouvait plus lire ce qui avait été jadis écrit à l'encre sur ce bout de papier. Les coins étaient cornés et certaines pages étaient froissés. La belle reliure imitant celle des livres d'époque avait perdu de sa splendeur et se détachait lentement. Le papier était par endroit jauni ou, dans le pire des cas, parsemé d'une ribambelle de petits trous, ravages causés par le temps mais pas que. Ce cahier avait été véritablement malmené, ce qui n'était pas sans me rappeler mes propres expériences. Plus j'y réfléchissais et moins je désirais l'existence de cette sorte de journal intime. Les souvenirs qui étaient consignés dedans, les jours que je décrivais précisément ... J'aurais souhaité pouvoir les rédiger autrement. Une chose était certaine, je ne relirais jamais de mon plein gré ce torchon au style malhabile et aux écrits haïssables. Je ne savais même plus ce qui m'avait poussée à écrire ce journal quoique, j'avais bien ma petite idée sur la question mais elle n'expliquait pas ce qui avait affaibli mon âme au point de me rabaisser à cette écriture quotidienne. Je me souvenais que, suite au premier jour où j'avais gravé sur une feuille vierge mes malheurs et, plus rarement, mes bonheurs, je m'étais demandée à quoi me serviraient ces lignes recouvertes de grossières lettres noires, ces phrases à l'agencement discutable, ces mots dépourvus de précision et de réflexion, et je m'étais jurée de ne plus écrire ne serait-ce que la moindre lettre dans ce cahier après avoir relu cette aberrante description. J'avais tenu deux jours avant de briser ce serment. Passé ce laps de temps, je n'avais pu m'empêcher de saisir le crayon le plus proche et de déverser sur des pages entières le flot de mes pensées moroses. Et aujourd'hui, ce carnet était noirci par mes déclarations, trempé par mes larmes, sali par mon sang et lacéré par ma rage, ma haine du monde. Finalement, peut-être qu'écrire me faisait du bien. Chaque feuille d'un blanc immaculé devenait sûrement un royaume personnel dans lequel je me réfugiais lorsque mes espoirs se faisaient un à un détruire, j'y criais tout ce que ma voix n'arrivait plus à porter. J'avais fait d'une accumulation de papier mon plus précieux allié ...

Between heaven and hellOù les histoires vivent. Découvrez maintenant