Chapitre 18 (Partie 2)

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Pdv Camila

-Tiens, la suicidaire est de retour en un seul morceau les gars !!

Cette phrase aboyée par dessus le raffut causé par les autres élèves nous interpela ou plutôt interpela ma brunette qui se figea instantanément. Au vu des évènements des semaines antérieurs et du retour frais de cette dernière, l'offensant et méprisable qualificatif concordait parfaitement avec sa personne et la désignait indéniablement, hélas. Je ne connaissais personnellement qu'elle qui avait vécu dernièrement l'expérience énoncée dans cette provoquante phrase, qui en était ressortie tant bien que mal et qui faisait son grand retour au lycée aujourd'hui. Si jamais un autre élève s'était retrouvé dans cette situation, j'aurais été l'une des premières au courant, notamment grâce à mon père qui ne savait pas tenir sa langue et qui était malgré lui un adepte du commérage. Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que Lauren réagisse vivement en entendant quelqu'un se réjouir d'une manière aussi vicieuse du retour d'une personne qui a tenté d'écourter son existence sur Terre, elle devait à juste titre se sentir visée par cette attaque des plus rabaissantes et déplaisantes. Avec des yeux rageurs qui contenaient cependant une panique sous-jacente, la plus vieille scruta frénétiquement les moindres recoins du couloir afin de dénicher celui qui avait poussé cette exclamation. Tout comme elle l'avait été avec moi, la voix avait dû lui paraître familière et nul doute que sa recherche était axée sur une personne toute particulière. Vraisemblablement, elle n'eut pas de réelles difficultés à localiser celle-ci et j'eus la plus fiable des confirmations qu'elle avait trouvé sa cible lorsque je remarquai sa mâchoire se contracter promptement et ses pupilles s'assombrir progressivement. Suivant son regard des yeux afin d'apercevoir à mon tour le point qu'elle fixait obstinément, je distinguai finalement l'adolescent qu'il m'avait semblé reconnaître grâce à son grain de voix spécifique, j'ai nommé Austin. Ce dernier, accoté précairement aux casiers, avait un sourire narquois que je me plairais volontiers à lui faire ravaler ainsi qu'un air supérieur et fier proprement détestable. Ses petites prunelles dans lesquelles brillait ce qui se rapprocherait le plus, selon moi, à du dédain mélangé à une pointe d'orgueil dévisageaient la femme aux cheveux de jais qui s'était comme statufiée sur place une fois son agresseur repéré. L'absence de son groupe de potes, qui représentaient plus des sous-fifres pour lui si vous voulez mon avis, me surprit puisque le jeune homme ne se montrait jamais bien entreprenant ou courageux quand il était seul, livré à lui même. Pourquoi était-il si audacieux et serein tout d'un coup ? Mais, question largement plus importante, comment avait-il eu connaissance des déboires de Lern alors que seules elle et moi dans ce lycée étions au courant de sa tentative de suicide ? Le souvenir de cet épisode apportait bien trop de souffrance et de honte à l'adolescente aux yeux verts pour que celle-ci n'ait pu confier son acte de désespoir à quiconque et je n'avais moi-même jamais évoqué cet incident dans aucune conversation, consciente que ma petite-amie ne voulait pas que l'histoire s'ébruite, ce qui était plutôt logique et entièrement respectable. Donc d'où tirait-il ces informations pourtant confidentielles ...? Au fond de moi, j'avais l'impression de connaître la réponse, que j'avais celle-ci sur le bout de la langue, rien n'y faisait, je n'arrivais pas à trouver d'explication rationnelle et ça me frustrait, c'est peu dire.

Quelques élèves, intéressés par les dires du brun et curieux quand à l'évolution de l'échange certain entre l'accusé et l'accuseur, s'arrêtèrent pour observer la scène, chuchotant des propos à l'oreille de leurs voisins tout en regardant en biais celle concernée par l'affaire. Je compris immédiatement que l'attitude de ces lycéens, pourtant courante et loin d'être animée par l'animosité ou la méchanceté, allait poser un problème. En effet, je sentais à côté de moi le malaise, la colère et l'humiliation qui émergeaient de Lau' et j'étais persuadée que la présence actuelle d'une foule autour d'elle devait avoir impact non négligeable sur ses ressentis. Je n'avais jamais vraiment compris pourquoi mais elle n'avait jamais aimé admettre qu'elle possédait comme tout le monde sa part de faiblesse et qu'elle avait certaines failles qu'elle ne pouvait combler sans aide extérieure. Même, elle n'avait jamais réussi à accepter qu'on puisse la voir ou la qualifier de personne faible et/ou frêle. L'image qu'elle voulait rejeter était celle d'une fille au-dessus de tout problème, qui ne pouvait être abattue, qui ne se laissait jamais faire et qui détenait suffisamment de force mentale pour ne jamais être prostrée par les aléas parfois cruels de la vie. Il y avait une part de vrai dans tout cela, après tout on ne pouvait pas lui retirer son admirable endurance et son indéniable détermination qui lui permettait de se relever à chaque fois que le destin lui assènait une droite et l'accablait un peu plus de douleur, cependant elle pouvait craquer comme tout à chacun et je ne voyais pas ce qu'il y avait de vexant à cela. C'était simplement une preuve de plus, s'il en fallait, qu'elle était profondément humaine. Mais non, elle croyait dur comme fer qu'elle se devait d'être intouchable, inébranlable, que la moindre marque d'asthénie la couvrerait de vergogne. Et elle entassait la fatigue, physique comme intellectuelle, elle amoncelait une souffrance qu'elle cachait aux yeux de tous et qui lui pesait lourd sur les épaules, au point qu'elle avait conjecturé trouver un échappatoire morbide et glauque en gobant une quantité faramineuse de différents médicaments ... Mais viendra un jour où le vernis craquelera, où la vérité refera surface alors qu'elle pensait l'avoir minutieusement dissimulé derrière tous ces faux-semblants quotidiens, et alors il faudra affronter le jugement des autres. Ce jour là était visiblement arrivé pour Lauren mais elle ne paraissait pas prête à y faire face, à descendre du piédestal fictif sur lequel on l'avait mis, à accepter qu'elle ne pouvait pas être uniquement une force de la nature qu'on ne pouvait arrêter. Elle voulait probablement prolonger l'illusion un peu plus longtemps mais pourra t-elle donc le faire maintenant qu'Austin avait révélé son dernier abandon en date ? Et si oui, à quel prix ...?

Between heaven and hellOù les histoires vivent. Découvrez maintenant