Chapitre 6

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Aujourd'hui le Docteur Harrins m'a proposé de sortir dans le jardin de l'établissement. Le jardin est sûrement le seul endroit vraiment beau de cette immonde bâtisse, heureusement qu'il est là pour me faire continuer à vivre. Harrins m'a affirmé qu'il sentait qu'on travaillait mieux en extérieur. Il m'a aussi dit qu'aujourd'hui je ne serais pas obligée de simplement parler, il voulait me poser des questions bien précises pour une certaine analyse de ma situation. J'inspirai un grand coup tout en profitant du soleil et du beau temps. Les extérieurs étaient vraiment beaux, les feuilles des arbres recouvraient totalement le sol, bien entendu personne ne vient nettoyer, l'institut n'est pas très réputée et les gens ont la plupart du temps peur des patients, donc ne cherchent pas à travailler en ces lieux. Je m'assois sur la pelouse repliant mes pieds sous mes cuisses. Je portais une sorte de poncho avec une jupe qui m'arrivait aux tibias. J'étais habillée d'une manière très rétro, mais c'était confortable et puis il y a des vêtements qu'on ne m'autorise pas à porter.

L'écharpe m'est interdite, on a peur que je m'étrangle ou me pende avec son aide. Les colliers pareil, les bracelets avec des bijoux coupant, on a peur que je me taille les veines. Les rubans pour tenir les robes, les ceintures, les talons. Pleins de choses pour des raisons les unes plus terrifiantes que les autres. Ils n'ont pas compris que mon soucis ce n'est pas que je veux me donner la mort, c'est que je veux plutôt la donner aux autres, je suis là à cause de ma folie, à cause des meurtres que j'ai commis.

Je soufflais un coup alors que le professeur s'installait à côté de moi dans la pelouse. Il sortit son carnet où il note tout ce que je lui déballe quotidiennement et me sourit avant de me demander :

- Comment vous sentez-vous vous ?

- Merci pour hier, c'était sympa de sortir de cet enfers.

- Mais il n'y a pas de quoi, j'inviterai toujours une belle patiente comme vous.

- Elle est nulle votre technique de drague Docteur.

- Qui vous dit que ce n'est pas de la gentillesse ?

- Je ne sais pas, j'ai juste perdu ma bonne fois depuis que je suis ici, alors je choisis le mauvais côté de la chose.

Harrins soupira avec un sourire et se tourna face à moi :

- Avez-vous déjà aimé ?

- J'aime tout le monde, vous le savez déjà ça.

- Non, je ne vous parle pas de cet amour-là, je vous parle d'aimer quelqu'un au point que c'est la chose la plus précieuse à vos yeux.

- Vous dire "non" serait mentir Docteur Harrins, cela m'est déjà arrivé, par le passé.

- Parlez-moi en je vous prie.

- J'ai aimé quelqu'un tellement fort, que j'étais prête à recevoir les pires douleurs au monde juste pour le voir sourire. Ce n'était pas un enfant sage, mais il était une merveilleuse personne. Il ne montrait pas toujours ses émotions, mais quand il était triste mon cœur se déchirait en mille morceaux. Il pouvait paraître tellement banal ou froid aux yeux des gens, mais quand on cherchait plus loin on voyait sa vraie nature. Je ne m'étais jamais sentie comme ça, comme si à chaque instant où je le voyais, mon cœur se réchauffait et tous mes troubles partaient. Je voulais qu'il soit heureux à jamais, je faisais des vœux aux étoiles filantes, aux plaques de voitures qui avaient trois fois le même chiffre, aux instants où j'étais assise entre deux hommes, dans tous ces moments je lui souhaitais d'être heureux avec ou sans moi. N'est-ce pas ridicule d'aimer autant quelqu'un sans rien en retour ? Je ne crois pas que se soit ridicule, je ne saurai pas dire si c'est bien ou mal, mais c'est ce que je ressentais pour lui. J'étais peut-être jeune et bête, mais je serais vraiment heureuse de me dire qu'à l'heure actuelle il sourit entouré de gens qui l'aiment, malgré mon absence.

- Vous savez aimer vous, il n'y a pas à dire.

- On ne choisit pas de savoir ou ne pas savoir aimer, je pense qu'on aime si on veut, et non pas par principe. Il n'y a jamais eu besoin d'étude pour aimer son prochain.

- Vous êtes une personne poétique.

- Si vous le dites, vous aussi sûrement non ?

- Comment ça ?

- Avez-vous déjà aimé ? De cette manière-là ?

- Haha je n'en sais rien pour tout vous dire, je suis seul actuellement et durant mes années d'études je n'étais pas vraiment avec quelqu'un, j'ai fréquenté quelques filles de mes classes mais ça n'a jamais vraiment duré. Je ne sais pas ce que vous ressentez, mais le jour où je comprendrai, je vous promets que je vous le ferai savoir.

- Très bien Docteur, mais sachez que je ne vous souhaite pas de découvrir ce sentiment trop vite.

- Pourquoi donc ?

- Parce que dans ce ressenti on se sent complètement vulnérable, on a l'impression qu'on ne peut plus aller à l'encontre de la personne, on l'aime tellement qu'on ne peut pas la blesser, même si elle nous fait du mal. Et le pire dans tous ça, c'est qu'on n'est pas forcément aimé en retour. Cette douleur est "aimer", mais je préfère l'endurer, car si on aime vraiment on fait passer les besoins de l'autre avant les siens.

Le Docteur Harrins sourit, ce n'est pas tous les jours que je vois ça, des fois il rigole juste un peu gêné, mais sourire comme ça ne lui arrive pas souvent. Il finit d'écrire dans son agenda et passa son bras autour de mes épaules avant de dire :

- Je ne sais pas ce qu'un personne bonne comme vous fait ici, je vous promets de vous sortir de la.

Je clignai des yeux et le Docteur me regarda d'assez près, je ne comprenais pas trop son expression, ce n'était pas très professionnel, mais ça m'était égal, j'avais besoin de contact humain pas d'un interrogatoire pour cobaye, ça fait trop longtemps que je n'ai pas discuté avec quelqu'un pour de vrai, comme une vraie discussion, sans but, que je puisse aussi poser des questions. C'est étrange mais, je ne déteste plus le Docteur Harrins.

Cher DocOù les histoires vivent. Découvrez maintenant