Chapitre 38

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C'est ainsi que dix minutes plus tard, je me garai au bord de la route, devant le lac. J'avais dû prendre le volant, Irina était totalement incapable de conduire. En fait, elle était totalement incapable de faire quoi que ce soit tant elle tremblait. Je me rendais compte mieux que jamais à quel point cet événement l'avait marqué. Elle semblait tellement blessée, tellement triste... Je comprenais aussi que ses sœurs étaient les seules personnes qui aient véritablement jamais compté pour elle. Une fois sortis de la voiture, je la prit par la main et nous avançâmes jusqu'au bord de l'eau. Elle me regarda avec un air embarrassé.

- Il faut que je fasse quoi au juste ? Que je parle au lac ? me questionna-t-elle en fronçant le nez.

- Peu importe, fais ce qui te vient naturellement à l'esprit.

- Rien ne me vient naturellement à l'esprit... c'est un lac !

Je secouai la tête avec un sourire amusé.

- Désolée, reprit-elle. Je suis pas habituée à ce genre de chose...

- Je sais, ris-je en l'attirant à moi pour l'embrasser sur le front. Tu n'es pas habituée aux choses que les gens normaux font.

- Les gens normaux parlent aux lacs ? ricana-t-elle.

- Non, mais ils vont se recueillir sur la tombe de leurs proches. Ils...

- Ils posent des fleurs, tout ça, je sais, me coupa-t-elle. Je trouve ça hypocrite. Ils le font parce qu'il faut le faire, c'est tout.

Je soupirai. Elle avait raison, en un sens, mais ce que je voulais lui faire comprendre, c'était que le deuil et le recueillement étaient des choses importantes. Tout ce à quoi pensait Irina c'était se venger et tant que ce ne serait pas fait, elle ne pourrait pas se détacher de toute cette histoire, mais j’espérais pouvoir l'apaiser un peu.

- Qu'est-ce que tu voudrais dire à tes sœurs ?

Elle me lança un regard perplexe.

- Imagine qu'elles sont là ! lui dis-je en désignant l'étendue d'eau de la main.

- Eh bien, je leur dirais sûrement... euh...

Ses yeux semblèrent se perdre dans le vide un instant. 

- Je peux pas faire ça, dit-elle tout à coup d'un ton catégorique.

- Pourquoi ?

- Leur dire au revoir c'est comme graver dans la roche le fait qu'elles soient... mortes.

- Mais c'est le cas, Irina. Elles ne reviendront pas, et tu dois passer à autre chose.

- C'est de mes sœurs dont tu parles ! Pas d'un animal de compagnie !

- Ça ne change rien ! Tu ne peux pas rester bloquée dans ça éternellement...

Elle se tourna vers moi et ancra ses yeux aux miens avec détermination.

- Écoute-moi, Castiel. Je sais que tu essayes de m'aider, mais il faut que tu comprennes que je ne pourrai jamais avoir une vie normale, je ne peux pas passer à autre chose. Me venger, tuer des gens, continuer cette stupide guerre... c'est mon job ! Quand on a un nom de famille comme le mien, on ne peut pas s'arrêter, changer de pays et tout recommencer à zéro.

- Ça c'est ce que tu penses, mais...

- Non, il n'y a aucun mais. Je crois que tu ne saisis pas encore la gravité de la situation. Il y aura sans cesse des gens qui voudront me tuer. Où que j'aille et quoi que je fasse. J'essaye de faire des efforts pour toi, j'essaye vraiment, mais... je ne suis pas le genre de personne qui va se recueillir sur la tombe de ses proches, je ne suis pas ce genre de fille. Tout ce que j'ai fais depuis que je te connais, accepter que tu nous rejoignes, revenir là où mes sœurs se sont faites descendre pour te prouver que je t'aime, tout ça ce n'est pas moi.

Jeux du sort : play with lifeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant