Chapitre 1

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Media: Jade

- A dans un mois ! Fais attention à toi, ne fais pas n'importe quoi.

 Alicia quitta notre grand appartement sur ces mots, comme à son habitude. Elle partait pour un de ces longs et mystérieux voyages de découvertes scientifiques, encore une fois. Je ne la voyais presque jamais, mais ce n'était pas grave. C'était même mieux, je dirais.Alicia n'était pas ma mère, loin de là. Ma mère à moi, ou plutôt ma génitrice (le mot "mère" n'étant pas bien qualifié pour cette femme) était en prison, pour m'avoir battue et maltraitée. A la mort de mon père, à mes huit ans, elle avait commencé à boire et était devenue violente. Alicia était une amie proche de mon père, la seule femme qui avait accepté de s'occuper de moi. Elle était assez riche, mais je n'avais jamais vraiment abusé de son argent, sauf pour ma moto. Elle avait la peau mate, les yeux marrons et les cheveux noirs et bouclés. C'était une plutôt belle femme, très robuste, trop jeune pour être ma mère.

Dès que j'entendis la voiture d'Alicia s'éloigner, je me levai pour enfiler mes Doc Martens noires et sortis en débardeur, noir également, malgré la fraîcheur de cette fin d'après-midi. Je saisis les clés de ma moto, sortis de l'appartement et fermai à double tour. Je descendis dans le grand hall de l'immeuble et passai devant un grand miroir. Je m'arrêtai quelques instants pour regarder mon reflet.

Ma peau était pâle, plus que d'habitude, et contrastait avec mes longs cheveux noirs et raides.Mes yeux bridés, habituellement noirs eux aussi , scintillaient légèrement d'argent. Je devais sortir, et rapidement, avant que la nuit ne tombe et que les premiers rayons de la pleine lune n'apparaissent. Je sentais des émotions monter en moi, ce qui était très perturbant pour moi, qui avait appris à les faire disparaître. Pour moi, les émotions n'apportaient que de la douleur et de ladestruction. J'en avais déjà bien fait l'expérience.

J'avais beaucoup d'amis,avant. Au moins une dizaine, en plus de Kenzo, mon meilleur ami.J'étais vraiment heureuse avec eux, ils m'avaient fait oublier la douleur de la perte de mes parents. Et je les avais perdus, eux aussi. Même Kenzo...Ils étaient tous morts, sauf moi. Je portais malheur. C'était pour ça que je n'avais aucun amis, que je rejetais tout le monde et que j'étais méprisable. Je ne connaissais même plus ce que ça faisait de rire, ou même de sourire sincèrement.Les seuls sentiments que je pouvais éprouver étaient le mépris et la satisfaction. Mais au moins, je ne souffrais plus. Sauf lors des nuits de pleine lune, comme ce soir-là. Une bouffée d'émotions m'envahit, ce qui me donna la nausée. Je sentais un mélange d'excitation, de tristesse, de mélancolie et de peur en moi, et,surtout, la seule chose que je tolérais, du pouvoir.

Je sortis du bâtiment et retirai l'antivol de ma Yamaha noire mat. Je mis mon casque, enfilai mon gilet de sécurité et enfourchai ma moto pour démarrer à toute vitesse. Je me détendis en sentant le vent frais autour de moi et attendis de quitter le centre-ville de Kayson City pour accélérer,direction la forêt de Kayson. Je m'engageai sur une petite route en pente, m'éloignant de plus en plus de la ville.

Lorsque j'arrivai à la lisière de la grande forêt, je garai ma moto, retirai mon casque et pénétrai parmi les arbres. Je connaissais cette forêt par coeur, surtout les parties les moins fréquentées par les randonneurs. Je la considérais comme mon territoire, je m'y sentais mieux chez moi que dans l'appartement luxeux d'Alicia. J'empruntai le chemin que j'avais foulé tant de fois, plus d'une fois chaque mois, les soirs de pleine lune, précisément, depuis ce soir-là.

Le ciel était entièrement couvert de nuages gris, ce qui contrastait avec les hauts arbres dont les feuilles étaient colorées de différentes nuances de vert, du vif au sombre. Certaines se teintaient déjà de jaune, d'orange et d'ocre à l'approche de l'automne. C'était ma saison préférée,j'appréciais le ciel couvert de gros nuages sombres pour déclencher de lourds orages et des pluies tantôt fines, tantôt torrentielles;le vent frais et humide à la fois, qui pouvait être doux et violent juste après; les feuilles qui tombaient et qui volaient par bourrasques, dénudant les branches pour leur donner un aspect sinistre, presque lugubre, sous le ciel voilé, comme j'étais moi-même dénudée de tout sentiment.

En fait, j'aimais cette saison car elle me ressemblait, elle évoquait le brusque changement de ma vie qu'avait provoqué l'incident du 26 juillet 2015. Le soleil et le ciel bleu laissaient place à la pluie froide et au ciel sombre,comme ma joie de vivre et mes émotions avaient laissé place à l'indifférence et à la solitude. Le joyeux pépiement des oiseaux disparaissait, remplacé par un silence brumeux. Les oiseaux représentaient mes amis et mes parents.

Je soupirai, sortis mon Ipod,fourrai mes écouteurs dans mes oreilles et sélectionnai l'album des Twenty One Pilots. Et je fermai les yeux, inspirai l'odeur rassurante de l'humus chaud et humide de la forêt et marchai, prenant mon temps, frôlant les troncs des arbres du bout des doigts, sentant chaque sensation familière. C'était dans ces moments-là que j'éprouvais de la satisfaction.

Au bout d'une dizaine de minutes, je débouchai dans une vaste clairière. La clairière.Je la parcouru du regard, et des souvenir douloureux m'assaillirent.Les roulements de tonnerre, les grognements féroces, les craquements sinistres, l'odeur entêtante de la peur, les cris suraigus de souffrance, le sang coulant à flots... Je marchai lentement jusqu'au centre, et m'allongeai dans l'herbe grasse et humide, qui, environ deux années auparavant, avait été souillée du sang de mes amis. Le morceau Stressed Out résonnait à mes oreilles.

"Wish we could turn back time, to the good old days..."

Je me mordis la lèvre et arrachai mes écouteurs en me redressant. La nuit tombait, et la lune se levait. Elle était belle, bien ronde. Je sentais le pouvoir de ses rayons sur moi. Je sentais l'attraction en moi. Je ne pouvais plus résister, je devais me libérer. Je sentis mes yeux me picoter, ce qui m'indiquait qu'il avaient changés de couleur, pour devenir argentés.

Alors je me levai, et, face à la lune, me déshabillai lentement. Une fois débarrassée de mes sous-vêtements, une forte douleur familière traversa mon corps.Elle était insupportable, mais je l'accueillis avec délice. Mes dents s'allongèrent et devinrent pointues, je contractai mes doigts pour que des griffes noires en sortent. Mes os craquèrent, mes muscles se tordirent, mon dos se voûta et tout mon corps de couvrit de poils, qui devinrent une épaisse fourrure noire. Ma vraie nature était révélée.

J'étais une louve solitaire.

Dark WolfOù les histoires vivent. Découvrez maintenant