À force de vivre on en oublie le bonheur d'être encore en vie
31.07.18
Les mains dans ses cheveux, les dents serrées et tournant en rond dans sa chambre comme un lion en cage, Ulrich ne cesse d'avoir mal, ne peut cesser de ressentir ce qu'il a au fond de lui. Il a essayé de tenir, de laisser le temps passer pour se sentir mieux mais rien à faire, il n'y est pas arrivé. Il se croyait fort pourtant, il l'a toujours cru mais un beau jour vient le temps où nous devenons faibles. Vient le temps où la faiblesse remplace la force.
Vient un temps où la force de vivre n'est plus.
Il ne demande rien de plus qu'arrêter de souffrir, d'avoir mal. Il en demande rien de plus.
Ulrich lâche une larme en secouant la tête de droite à gauche, les mains glissant sur son visage, les lèvres à demi-ouvertes. Ulrich regarde partout autour de lui, le moindre recoin de sa chambre, comme perdu. S'il avait su qu'il allait pleurer, qu'il allait se faire du mal, il ne l'aurait pas cru.
Il fait nuit, c'est l'été et il fait chaud. La fenêtre de sa chambre est ouverte, laissant passer une douce brise de vent frais. Les rayons lumineux de la pleine lune éclaire légèrement la pièce. Il essaie de faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller sa mère ou ses sœurs. Mais c'est difficile quand son attention est de se faire du mal et de trouver un objet pour arriver à ses fins.
Ulrich allume la lumière de sa chambre et trouve un taille crayon qui traînait sur son bureau. Il dévisse la lame avec un couteau, toujours les dents serrées jusqu'à y parvenir. Il regarde le petit objet tranchant qu'il a dans les mains quelques secondes avant d'éteindre la lumière, les larmes redoublant d'effort. Ce sont plus des larmes qui insinuent qu'il a terminé de se battre. Il craque, c'est tout, il ne peut pas combattre cette douleur qu'il ne croyait pas aussi forte.
Pourtant, il sait se battre. Il a toujours sur le faire. Donner des coups, les éviter. Il sait se battre physiquement. Mais qu'en est-il intérieurement ? Il ne sait pas, parce qu'il n'a jamais su. Ulrich se croyait invincible contre cela mais l'amour touche tout le monde. L'amour, on ne peut pas le combattre. Soit on vit avec, soit on en meurt.
Il cale son dos contre son lit, sous la lumière de la lune et ravale des larmes de regrets.
« Je n'ai pas le choix, elle ne me laisse pas le choix. C'est comme
ça, c'est ainsi que va la vie. » pense-t-il.
Sans hésitation, d'un coup, il le fait, il se mutile pour soulager la douleur, pour se sentir apaiser de ce qu'il ressent au fond de lui. Cela fait mal, il saigne. Ulrich recommence parce que la douleur revient au bout de quelques secondes.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt, vingt et un, vingt-deux, vingt-trois.
Son bras est en sang tout comme son cœur et la douleur s'évapore pendant quelques minutes à son grand désespoir car il la voyait déjà partie une heure. Ce n'est pas assez pour lui, cela ne le sera pas. Il fait passer la lame du taille crayon dans sa main gauche et répète les mêmes mouvements de droite à gauche sur son bras droit. Encore et encore. Des goûtes de sang coulent le long de ses avant-bras et viennent se coincer dans le tapis. Il devra expliquer à sa mère, trouver une excuse.
Ulrich pleure quand il arrête de se faire mal au bras droit. Il pleure de soulagement, de colère et un peu de désespoir. Pourquoi la vie l'a-t-elle faite ainsi ? Pourquoi n'est-il pas normal ? Pourquoi se sent-il abandonné ?
Pourquoi son père est parti bien avant son heure ? Pourquoi a-t-il l'impression d'être seul au monde ?
Le sang coule le long de ses bras, sur le tapis qui devient rouge un peu plus à chaque seconde. Le temps s'écoule lentement, la nuit s'éternise. Finalement, il termine par s'endormir à même le sol, les bras exposés au clair de lune, un peu comme un martyr.
Il est réveillé vers sept heures du matin par les rayons du soleil qui réchauffe sa peau. Ulrich se frotte les yeux un instant avant de se rendre compte de la douleur qui le propage tout le long de ses bras. Il a mal au dos et au cou quand il se lève pour aller dans la salle de bains. Il observe ses marques de mutilation dans le reflet du miroir en grinçant des dents et s'enferme à clé quand il entend des pas dans le couloir.
- Ulrich ? Tu es déjà levé ?
- Oui.
- Je vais au travail, je rentrerai plus tôt ce soir. Occupe-toi bien de tes sœurs.
Il ne répond, le regard trop occupé à regarder ses coupures. Il penche la tête sur le côté, comme pour les observer d'un autre angle. Ulrich désinfecte toutes ses plaies et se retient de hurler à cause de la sensation de brûlure qui démange chaque blessure.
Le coton est en sang et les bandages autour de ses avant-bras le seront bientôt. Il a l'air de s'être battu avec de mauvaises personnes ainsi, il paraît plus dangereux qu'il n'en a l'air. Il devra trouver une excuse, une bonne excuse à vrai dire. Ce n'est pas pour autant qu'il sera rongé de regrets, pas le temps pour cela, plus le temps de regretter.
Ulrich a envoyé un message à Ambre avant de passer à l'acte, comme si cela apaisait son âme de s'être excusé, de le lui avoir dit. Il pousse un profond soupire.
- Ulrich ?
- Quoi ?
Il a la joue pratiquement collé à la porte et elle attend derrière cette dernière, l'air craintif. Disons qu'elle a peur de ses réactions à chaque fois qu'elle lui adresse la parole. Elle ne comprend pas pourquoi son fils est devenu ainsi, où est passé le fils gentil, sympathique et souriant. Où est-il ? Ulrich pense soudainement au fait qu'il a laissé en plein la lame du taille crayon à même le tapis et que du sang y s'est incrusté. Une panique commence soudainement à le gagner, priant en son for intérieur qu'elle ne s'aperçoive de rien. Il se passe de longues secondes de silence avant qu'elle ne reprenne la parole.
- Tu as entendu ce que je t'ai dit ?
- Oui maman, soupire-t-il.
- Alors j'y vais. À ce soir.
Elle met du temps avant de s'en aller de la chambre, sans même voir ce que redoute Ulrich. Son cœur bat à une vitesse incroyable, inimaginable. Ulrich n'aimerait pas croiser le regard de sa mère à cet instant, si elle apprenait ce qu'il a fait. Il ferme les yeux quand il entend la porte d'entrée claquer et se laisse glisser contre la porte de la salle de bains. Il lâche une larme puis vient les suivantes. Si seulement les gens qui le craignent pouvaient le voir. Si seulement ils étaient là pour le regarder au plus bas. Alors à ce moment, ils verraient à quel point qu'Ulrich n'est pas comme les autres, qu'il est différent tout en restant banal, qu'il a lui-même des problèmes qu'il ne veut pas admettre.
Son père lui manque. Sa grand-mère lui manque. Ambre lui manque. Avoir mené quelqu'un au suicide le frustre, lui fait mal. Quoi qu'il en soit, il ne peut plus retourner en arrière par rapport au fait de sa mutilation.
Ulrich James Arthur Winter est secoué par des tremblements insoutenables, dans le silence glaçant de sa salle de bains. Secouant la tête de droite à gauche, il rampe jusqu'à la cuvette des toilettes, s'appuyant d'une main sur la cuvette.
Si certains le voyaient dans cet état, ils le traiteraient de fille, de fragile et tout ce qui va avec. Ils diraient que e n'est même pas un vrai « mec ». Alors une dernière fois, il tente de faire quelque chose qui lui paraît correct, que personne ne pourra voir. Il s'est fait du mal au cours de la nuit en se mutilant, maintenant il se fait vomir en priant que la douleur qui l'assaille du plus profond de son âme disparaisse de tout cœur.
Ses doigts tremblent, son geste hésitant. Il sait que c'est mal, il sait qu'il ne devrait pas mais pourtant il le fait. Il supplie Dieu d'être pardonné parce que tout ce qu'il veut est aller mieux. Mais comment aller mieux quand le monde autour de lui ne cessera de s'effondrer ?
Fermant les yeux, il enfonce ses doigts dans le fond de sa bouche, avant de vomir le peu de nourriture qui restait dans son estomac.
Il est très tôt, il ne sait pas quelle heure exactement mais il est très tôt. Ulrich s'effondre au sol, comme le jour de l'accident de voiture de son père. Il tend les bras à l'horizontal, comme Jesus sur sa croix, comme se donnant à la mort, abandonnant la vie. Son estomac est vide, son cœur est lourd et ses pensées assourdissantes.
Il a mal aux avant-bras, ses coupures le brûlent. Il a mal au cœur, un poids trop lourd à l'intérieur de l'organe. Ulrich James Arthur replie les bras et plaque ses mains contre son visage, secoué pas des tremblements, ne sentant plus sa place dans ce monde. Il se lève et retourne dans sa chambre pour nettoyer et faire disparaître sa connerie. Cependant, le sang reste toujours encré dans le tapis. Il tient la lame dans son poing serré, ne sachant pas quoi en fait.
Il finit par la coincer dans les pages d'un livre qu'il n'a jamais lu et qui traînait dans un coin de sa chambre. Puis Ulrich se tient au milieu de la pièce, le cœur lourd, les pensées dans un autre monde, ses yeux perdus et vides, dans le profond silence de la maison.
Le silence.
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SMS Mortels
Romance- toutes les histoires ne finissent pas forcément bien #1 imessage - 14 Septembre 2018 23 octobre [still number one] #2 imessage - 27 septembre 2018