5. Le Juge Ji Ten Jsie

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Roissy-Charles-de-Gaulle, Nora m'attend à la descente de l'avion, longue robe sombre, fichu islamique sur les cheveux, lunettes noires. Même avec les jumeaux, barbus, en couverture, la voir ainsi, tenue épouse soumise, me fait un choc.

Je me risque à lui en toucher deux mots. Elle m'interrompt :

– J'ai pas ça dans ma garde-robe.

– Aïcha ?

– Précisément.

– Fifille dans l'armoire de maman : un classique...


Mon pied gauche m'alerte brutalement. Le kalaripayat, ça sert entre autre aux poids plume à broyer les doigts de pied, quel que soit le gabarit de leur propriétaire.

– Service commandé mon chou.

– C'est quoi la commande ?

– Réception du Juge Ji Ten Jsie, demain matin, Val de Grâce.

– Et ce soir ?

– Permission d'appartement, rue Saint Jacques.


Permission, façon de parler, avec les jumeaux dans le salon, et Tomy en planque, dans les rues des alentours, avec ses potes et sa bonne vieille Picasso.

Mais quand les temps sont durs, on prend ce qui traine.

Et Aïcha nous a fait trainer un reste de tajine à réchauffer, précédé d'un reste de Bowmore, de quoi se réconcilier un peu avec la vie civilisée.

Avec la tendresse aussi, dans la chambre, une fois la porte close...


Le lendemain, neuf heures, réception du Juge Ji Ten Jsie, dans le salon d'honneur du Général Président Directeur du Val de Grâce : champagne, café, viennoiseries, macarons...

Le Juge est un petit homme discret, sobre, cheveux longs et barbe blanche, vêtu à la chinoise d'une simple robe de soie noire. Il est bien entouré, entre l'ambassadeur, les secrétaires, les interprètes, d'ailleurs inutiles, le Juge se débrouillant très bien en français, et une dizaine de gardes du corps, sbires des services chinois, genre quintal de muscle et mine patibulaire.

Alban est également des nôtres, représentant du ministère de la justice, éminent correspondant de son collègue pour les affaires sensibles.


Phase un : deux heures de discussions techniques sur les mérites et les dangers de la ricine, les protocoles de part et d'autre, les explications empressées, sans oublier les silences, secret défense oblige.

Phase deux : Nora, visiblement en pleine forme, sollicite du Juge une visite aux tatamis, ceux où elle a fait les misères que l'on sait à l'adjudant Lemaître dans les sous-sols de l'hôpital*. Le juge incline légèrement la tête et se lève, aussitôt suivi de cinq sbires, trois interprètes et quelques secrétaires empressés.

Lemaître est là pour nous accueillir, avec un large sourire. Il a prolongé de quelques mois, avant la retraite et la pêche à la ligne...


Avec Alban et les jumeaux, on les suit, décontractés. Le Juge, impassible, s'assied en position lotus, version chan, dans un coin du tatami.

Il invite ses sbires à se déchausser et à prendre place à ses côtés. Secrétaires et interprètes s'agitent nerveusement sur leurs chaises, de l'autre côté de la pièce. Pendant ce temps, Medhi nous serine dans les oreillettes : « Vous la laissez faire pendant que vous faites la tchatche au petit personnel ». On les rejoint donc, s'empressant de parler haut pour leur commenter la scène.

3. Opération CriquetsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant