Le lendemain matin, après une bonne nuit et tout plein de câlins, on rend une dernière visite au général. Il a mal dormi. On a un peu tardé. Il souffre. Compréhensible : il attend sa morphine.
Heureusement pour lui, on a une bonne nouvelle à lui annoncer : retour au Val de Grâce dans la foulée. Malheureusement, une moins bonne aussi : la camisole, il va se la garder, vu le diagnostic. « Tendances suicidaires mégalomaniaques », ça ne pardonne pas !
Le Président est d'accord, pour le diagnostic, et pour le reste aussi. Un Président girouette, pense-t-il. Phébus, tout au plus. Alors que lui, il a voulu jouer les Borée. C'est traître, le Dieu des vents. Faut s'attendre à ce qu'il tourne casaque, et laisse à nouveau la lumière passer...
Quant à son téléphone, non, pas touche. On se le garde. Il n'y a plus droit. Terminé. Asile, camisole, silence, repos, point barre.
Sa famille est prévenue, et furieuse... contre lui. Forcément. Dédommager la veuve du docteur Feuille, ça obère sérieusement le patrimoine.
Il se met à rouler des gros yeux, hurlant, rougeaud, confus. Pas de doute : le diagnostic se confirme, fait remarquer Nora.
Elle revient avec lui, dans l'ambulance conduite par l'adjudant Lemaître. Il faut s'assurer des détails, côté Val-de-Grâce. Puis il faut aller réceptionner notre petit monde, à sa descente d'avion, Villacoublay.
Par précaution, je demeure en planque, le temps que l'ordre des choses soit pleinement rétabli.
J'ai donc suivi les évènements à distance, par SMS :
« Paquet embarqué, calmants nécessaires, fortes doses »
« Avion annoncé, ils arrivent »
« Tous là, mines superbes, plus quelques geckos, engourdis par le froid »
« Edouard, embarqué aussi, direction Elysée »
« Medhi et tous les autres, repartis, Lyon, incognito, dare dare »
« Fonds arrivés : Satpé démarre »
« Maman et moi, on t'attend rue Saint-Jacques »
Et voilà. L'Opération Criquets s'en est partie aux oubliettes. Pas d'apothéose cette fois, comme après l'Opération Désherbage ou bien l'Opération Nababs. Simple réhabilitation si on veut, timide retour en grâce si on préfère. Tout semble rentrer dans l'ordre, comme si de rien n'avait été, comme si Madou, au lieu d'avoir endossé son linceul de Gavroche africain, était toujours à gambader parmi nous.
Il faudrait faire comme si on n'avait pas été salis, pourchassés, promis aux enfers. Comme si l'équipage n'avait pas été mis en quarantaine, au loin, au chaud, dans un terra, ainsi que des geckos. Sauf que la pilule est amère. Pour s'en sortir, on a dû nous aussi se faire au brigandage. Le général, on ne l'a pas raté, hein, et Tomy non plus, ni le docteur Feuille ! On a dû s'y faire, au nettoyage salissant, au venin de la victoire, aux affres de la survie. L'innocence des cadavres nous poursuit, comme celle des âmes broyées et des corps meurtris. On se contamine à employer des armes de salauds, comme une maladie contagieuse qui nous contracte.
Et puis maintenant, on a le cactus sur l'établi, avec Satpé dans la besace. Un sacré défi, sans plus de parachute pour amortir les atterrissages. Mais on s'en fout. A deux, on se sent assez forts désormais. Parce qu'avec Nora, on s'est rendus l'un à l'autre indispensables. Les épreuves nous ont marié nos destins. Et si un jour Nora fait de moi le père de ses enfants, si un jour elle nous donne un petit Madou, il aura Aristide et Amédée pour parrains...
Pour commencer, on va se mettre à l'abri, en Suisse. Nos sous y seront plus tranquilles, et nous aussi. Ensuite, Opération Cactus : va falloir se remuer.
Primo, on sait que le Président à vie du Tazakurzbekstan, son excellence Goursoultanbek Kazardimov, 99% d'opinions favorables à chaque consultation électorale, est dans le coup, avec ses paquets de pétrodollars à la rescousse.
Secundo, on sait qu'il aime le foot. Mais alors pourquoi vouloir faire exploser, vraisemblablement au drone télécommandé, les stades européens archi pleins ?
Tertio, il a dû s'offrir les services de quelques physiciens peu scrupuleux qui lui ont fabriqué quelques ordinateurs quantiques. Le nec du plus ultra, qu'on rangeait jusqu'à présent rayon science-fiction, une sorte de bombe subatomique, un truc indécryptable, imparable et inarrêtable. Sauf que là, précisément, faudrait l'arrêter, et même avec Medhi je crains bien qu'on ne se retrouve bredouilles.
Bref, du sport en perspective, avec des voyages et des angoisses, des paysages et des cachots, des cavalcades, des promenades, des rencontres, retrouvailles, implosions, explosions, attaques, contre-attaques, à coup d'imprévus qui se bousculent.
La fiction embarque sur un frêle esquif, ballotté par la furie des océans qui nous emportent. Figaro l'a si bien dit : autant rire de tout, de peur d'avoir un jour à en pleurer...
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3. Opération Criquets
General FictionPaul et Nora, nos époux désormais épris, pensaient pouvoir enfin... Mais c'était sans compter... sans compter avec les « criquets », les « criquets » des Chinois alliés aux Calabrais. Autrement dit de pleins cargos tout bourrés d'immigrés, des cargo...