Outre Nora et Caroline, les hélicos nous ont apporté Aristide, un de leur copain de promo, pneumologue de son état, par ailleurs roi Bamiléké, de Baham*, colosse de trente ans à peine, affable, promu commissaire de bord.
Il débarque avec son équipe d'une soixantaine de gars, matelots et personnel infirmier compris, et quelques mètres cubes de matériel.
Comment diable va-t-il faire pour maitriser les cent mille malheureux qu'on a dans nos huit cuves à pétrole, les nourrir, surveiller, apaiser, sanctionner, calmer, gendarmer, soulager ?
Il a commencé par nous expliquer que le pont est désormais zone interdite : sans nous, ni armes. Nous devons apparaître en haut, au sommet de la passerelle, lunettes noires et uniformes galonnés, derrière les vitres de la timonerie.
Je suis Dieu à bord, ou Allah, ou Yahvé, au choix, gestes lents, imperturbable, inaccessible. Mes seconds sont Marabouts, Saints ou Prophètes, à leur goût, cantonnés dans leurs activités haut perchées. Il nous fera signe en cas de problème.
En attendant, on est priés de se concentrer sur la bonne marche du navire, hautes préoccupations, aussi éloignées que possible des humaines bisbilles qui occuperont le pont. Notre regard surplombant n'a même pas à voir ce qui se passe en contrebas.
Les mille cinq cent mètres carrés du rez-de-chaussée se sont transformés en hôpital, avec lits, salle d'opération, radio, infirmerie, pharmacie, labo. Nora y a emmené les gamines, qui se sont mises à pleurer depuis qu'on leur a retiré leurs joujoux calabrais.
Les matelots ont grillagé les cinq cent mètres de bastingage, par sécurité. Le pont, de la taille de deux terrains de foot au moins, est ainsi dégagé, seulement traversé par une rangée de tuyaux, de la passerelle au gaillard d'avant.
Sur un côté, abrité contre notre repaire, Aristide a installé une tente, avec peaux de léopard, tapis, poufs, et un fauteuil, où il s'assied. Il a revêtu une tunique ndop bleue blanche et s'est coiffé d'un aka de plumes rouges**. Et il communique, par talkie walkie, intensément.
Vivi est venu donner un coup de main pour ouvrir les soutes au chalumeau, dont les écoutilles ont été scellées.
Il libère la première. Au bout de quelques minutes une tête de gamin surgit, clignant des yeux, regardant partout. Madou, dix ans à peine.
A pas de loup, il vient voir Aristide, qui lui montre le pont, du gaillard d'avant à la passerelle, avec la vitre de la timonerie, derrière laquelle nous sommes postés. Il jette un regard circulaire et, ni une ni deux, il met sa main dans celle de Vivi, tout étonné, qui sursaute, mais qui enserre dans sa paluche la papatte du petiot.
D'autres enfants suivent, puis des hommes, des femmes, jeunes, moins jeunes. Les gars d'Aristide ont investi la soute, sorti les malades, direction hôpital, sorti quelques cadavres également, direction gaillard d'avant.
Les enfants s'éparpillent sur le pont. Ils ont trouvé de quoi faire une balle en chiffon ou dessiner des marelles. Soleil de plomb, brise fraiche, mer calme. Ça s'ébroue joyeusement.
Les adultes viennent tous saluer Aristide, échanger quelques mots, s'inscrire à un bureau, sur un ordinateur portable, installé à côté de la tente, en trempant un doigt dans une encre indélébile, avant de recevoir une poignée de jetons en plastic, de différentes couleurs.
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3. Opération Criquets
General FictionPaul et Nora, nos époux désormais épris, pensaient pouvoir enfin... Mais c'était sans compter... sans compter avec les « criquets », les « criquets » des Chinois alliés aux Calabrais. Autrement dit de pleins cargos tout bourrés d'immigrés, des cargo...