8. Harem

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Le lendemain, aux aurores, petit déjeuner sur le pouce, Falcon 7x, Roissy, piste d'appoint, hangar spécial, à l'écart. L'équipages est au complet. Plus que 6h de vol et on est à Douala.

On est tous en tenue de la marine turque, coupe militaire, avec les couleurs requises pour les parements. Bleu roi pour les officiers : Tomy, Ozgur et moi ; turquoise pour Dominique, le radio ; violet pour Bébert et Vivi, les mécanos.

Edouard a combiné l'ajout de quelques valises, en plus de nos bagages. « Accessoires spéciaux pour neutralisation des mafieux de l'équipage », m'explique-t-il en me refilant le mode d'emploi.


Aéroport de Doula, le représentant de l'armateur, Salvatore, un calabrais d'allure sympathique, causant un anglais de cuisine, est venu nous accueillir, accompagné de trois matelots mal dégrossis : « Welcome... let us take youR luggage... a coffee... a dRink... eveRything on boaRd... even giRls... if you want... ».

J'évite de lui faire observer, pour les filles, que c'est pas réglementaire. On ne va pas chercher des noises avant l'assaut...

A peine sortis de l'aéroport surchauffé, ils nous fourrent dans un minibus confortable et climatisé. On traverse la ville, puis le port, encombrés partout d'énormes grumes.


Le forêt tropicale se vide ici de ses plus beaux individus, dont il ne reste que les troncs dénudés. Les arbres sont devenus cadavres, qui se vendent bon marché, pour être dépecés ailleurs.

A l'embarcadère, une vedette rapide nous attend. Le Viken, notre pétrolier, est amarré au large.


Une fois à bord, changement de décor. Salvatore est transfiguré : un vrai salaud !

Sur un signe, ses trois coreligionnaires ont sorti leur MP7, petit pistolet mitrailleur maniable, mille coups minute, chargeurs enclenchés.

On feint la surprise.

Canon sur le ventre, confiscation des portables, papiers, canifs, etc. et départ immédiat.

Le salaire sera triplé, certes, nous annoncent-ils, mais nous sommes là pour fermer notre gueule et nous occuper de la bonne marche du bateau, point.

Si nous sommes sages, nous aurons droit à une fille, de temps en temps. Quant à la nature du chargement : motus.


Je le prends à part. Faut pas qu'il s'inquiète : pour les filles, on est des gens sensibles ; pour le naturel, on n'est pas curieux ; et pour la paye, on est intéressés.

Mais question sécurité à bord, je suis un capitaine sourcilleux. J'ai besoin de savoir si ce sont des produits pétroliers qu'on transporte : risques d'explosion tout de même !

Et je dois impérativement réunir l'équipage au grand complet, cuistot compris, pour consignes relatives aux manœuvres et à la sécurité. Je suis un capitaine complaisant, certes, mais néanmoins rigoureux côté procédures.

En fin de compte, je lui fais observer, c'est aussi son intérêt, notamment s'il veut arriver à bon port.


On part sur le champ. Une fois au large : réunion générale, tous avec leur MP7 sous la main.

Je les fais asseoir bien sagement devant moi. J'ouvre une valoche : doc à distribuer, avec diaporama pour le commentaire.

Problème de connexion : je plonge sous le bureau pour vérifier la prise. Baououm !

L'explosion les a momifiés : mousse incapacitante, un truc nouveau, sticky foam pour les intimes, amélioré par le labo, garanti stupéfixant.


Impossible d'ouvrir un œil ni de bouger la moindre phalange. Des momies, qui ont même tendance à étouffer. On commence par leur subtiliser les MP7, ainsi que toutes les bricoles contondantes qui peuvent trainer dans leurs poches, les portables, leurs papiers, etc. Enfin, avant de leur redonner de la liberté de mouvements, on leur attache solidement les chevilles et les poignets, des fois qu'il leur resterait des envies de gambader.

Mauvaise fortune de mer, je leur explique. Faut s'y faire. Les voilà rendus comme les espadons qu'ils pêchent au harpon dans les eaux du détroit de Messine, avec leurs grands yeux remplis de la rage du désespoir. L'envie me taraude de leur prélever un steak à vif avant de les balancer sur un billot, comme à la criée.

Les anciens maitres du navire, vingt-cinq beaux méditerranéens patibulaires, râblés et poilus, sont maintenant allongés par terre, entravés, roulant des yeux furibards, bavant des jurons calabrais, des trucs intraduisibles. Salvatore, notamment, est prêt à mordre, mais il n'a plus que sa propre langue à ronger.


Au premier étage, ils se sont constitués un harem d'une bonne cinquantaine de gamines, entassées dans des dortoirs, attachées par des menottes aux montants des couchettes, rations de survie, eau croupie et pots de chambre pour se distraire.

S'agit-il de menus plaisirs pour le voyage, d'entretien libido pour jeunes gens longtemps éloignés de leurs foyers, ou d'approvisionnement de réseaux en manque de personnel ?

Les trois à la fois, sans doute.

Vu l'état des gamines, ils doivent les entrainer aussi à prendre des coups et à serrer les dents. A se demander s'ils ne se soucieraient pas, en sus, de formation professionnelle...


Âgées tout au plus de quinze ou seize ans, elles sont terrorisées. Pour qu'elles se rassurent, on les a fait venir devant leurs tortionnaires, solidement entravés.

Salvatore, qui refuse d'ouvrir le bec, alors qu'on s'évertue à lui demander poliment les codes qui nous manquent, s'est subitement déridé quand il a compris qu'Ozgur est tout disposé à le livrer à poil aux gamines, préalablement armées de couteaux de cuisine passablement ébréchés.

Comme elles en ont aussi contre les autres, pour les consoler un peu, on leur a permis d'apprendre à manipuler des GC54 anti émeutes, avec balles en caoutchouc, qu'ils ont dans leur arsenal bien fourni.

Et on a eu droit à des séances de tir aux Calabrais, suspendus par les bras sous la passerelle. A bout portant, c'est dangereux, alors on leur a demandé de rester sur le pont, quelques mètres en contrebas.

Le pied ! Surtout quand, une fois habituées à leurs nouveaux joujoux, après avoir retiré le falzar de leurs anciens geôliers, elles ont commencé à mieux viser.

Dès qu'elles atteignent une cible, les gamines hurlent de joie, pendant qu'on a droit à des soubresauts hoqueteux, agrémentés de « Dio mio... Madonna...porca miseria... Cristo santo... mamma mia... ».


Edouard, toujours aux aguets, me demande dans l'oreillette :

– C'est quoi ce cirque ?

Ma tentative d'explication ne le convainc pas, et encore moins Aïcha, qui se met carrément en colère :

– Bandes de saligauds, vous oubliez qu'ils ont une mère !


On a donc arrêté les gamines, un peu à contrecœur.

« Grosse orchite, a diagnostiqué Nora en débarquant de son hélico, faut leur laisser tout ça à l'air, ça passe un peu plus vite... ».

Et on a recyclé menottes, pots de chambres et rations de survie, en les leur attribuant, à fond de cale, bien attachés, même s'ils en ont pour un bon bout de temps avant de pouvoir remarcher droit.


3. Opération CriquetsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant