23h30, niveau trottoir, sous un toit de palettes, à même une bouche de métro qui nous souffle un peu d'air chaud, on avait commencé à roupiller, bien fourrés dans nos duvets, entourés de chats qui circulent.
Et voilà mon Alban qui rapplique, et Amédée qui lui propose de se joindre à nous. En latin, évidemment :
– Stragulum vis ? (Tu veux une couverture ?)
– Ita gratiam habeo. (Merci, je suis pas contre.)
– Cervisiam vis ? (Une bière ?)
– Idem. (Pareil.)
– Cave feles ! (Fais gaffe aux chats !)
– Caveo. (Je fais gaffe.)
Et on s'est retrouvés, par trois degrés à peine, avec Amédée et Alban bien décidés à causer latin, en train de discuter explosions, implosions, courses poursuites et pets de travers, tout ça en sifflant des bières au goulot.
Alban, il y avait jamais cru à cette embrouille. Depuis une semaine, il croisait les doigts : pourvu que j'aie réchappé ! Il attendait que je fasse signe. Aux aguets.
Je lui raconte pour Nora. Pour le général de Liévy. Je lui raconte aussi Martin et les Zadistes, mon portable et les séances avec Tomy. Je lui raconte enfin sa mise sur écoutes...
Sur ce coup-là, avec Amédée, on a dû calmer Alban. Il était prêt à tout casser, à démolir notre cabane, et à transformer le trottoir en prétoire...
Mais la mise sur écoutes d'un juge anti-terroriste, ça l'autorise. Démissionnés d'office, les responsables, avec leurs fusibles, format congé sans solde, avec passage par la case prison, quelques mois, au minimum.
Pour commencer, il va se faire le Tomy. Il a même déjà son plan qui germe pour le coincer.
Il va aussi voir du côté de Villeneuve : pourquoi diable le chef de cabinet du Président de la République couvre-t-il ce cirque ? Et le Président, a-t-il seulement donné son aval ?
A propos du général, il me confirme que c'est bien Jean Charles de Liévy, ancien patron de la DGSE, évincé par Edouard, qui a repris en main le château. Un militaire de couloirs et de cabinets, avec fortune familiale, bois et châteaux, et un bottin de relations politiques, mouillé jusqu'à l'os dans l'affaire des vidéos.
Bref, un résidu de l'opération Désherbage qui prétend renaitre de son chiendent, en même temps que l'Opération Cactus commence à nous picoter l'épiderme.
Pour le général, je le rassure. On va s'en occuper, avec Nora. Traitement spécial.
Amédée n'est pas d'un naturel curieux, mais il a toujours des démangeaisons de latin :
– Quid est Nora ? (C'est qui Nora ?)
– Conjux. (Sa femme.)
– Pulchra est ? (Elle est mignonne ?)
– Ita, et fortis, et habilis, et sollers, et prudens, et tandem medicus... (Tu parles ! forte, pi douée, pi habile, pi avisée... et en plus elle est toubib...)
– Ben merde alors !
Amédée, il est comme ça : il cause latin mais il jure français...
Je soumets ensuite Alban au dernier message de Medhi : « Cactus, foot, quarante mille morts par stade, Tazakurzbekstan, ordinateur quantique, on est pris : dégagez ! ». « Cactus » et « dégagez », « foot » et les quarante mille morts, OK, mais que vient faire là-dedans « ordinateur quantique » et « Tazakurzbekstan » ?
Il va tenter de trouver des éléments, même si c'est franchement obscur. Objectif prioritaire : retrouver Medhi, avec Edouard si possible. Parce que sans Medhi on est totalement sourds et quasiment muets, manchots en même temps que culs de jatte.
Il va également voir côté Marie-Astrid. On lui a dit quoi, sur son Edouard de mari ? Qu'elle est veuve et Marie-Charlotte orpheline ?
Pour communiquer, on passera par Amédée :
– Hora sexta exspectabo ante tribunal, at nocte hic dormire soleo dit Amédée (Vers midi, je t'attends devant le tribunal, et le soir je reviens dormir ici, comme d'hab.)
– Aliqua verba adloquemur sexta hora, et Paulus veniat ad vesperam ? demande Alban. (Comme ça on cause tranquille à midi, et Popol te rejoins le soir ?)
– Ita : ei narrabo vespere quid dixeris sexta hora, et narrabo tibi sexta hora quid vespere dixerit. (Voilà : je lui rapporte le soir ce que tu m'auras raconté, et je te répète le lendemain ce qu'il m'aura dit la veille au soir.)
– Ecce ! (Parfait !)
– Haec omnia, latine ! (Et tout ça, en latin !)
– Non cum Paulo, nihil intelligit. Nora fortasse, sed Paulus ! (Pas avec Popol : il pige rien. Nora, peut-être, mais Popol !)
Je comprends que couic, mais c'est beau, en pleine nuit, en latin, une bière à la main, sur une bouche de métro, un SDF d'un côté, un juge antiterroriste de l'autre.
Ils me résument en quelques mots : Amédée fera la boite aux lettres. Posté quai aux fleurs, à même le trottoir, face au palais de justice, il fera tranquillement causette avec Alban tous les midis. En latin, évidemment. Et il reviendra le soir, de l'autre côté de la Seine, me traduire tout ça.
Alban et moi, on n'en mène pas vraiment large : au moindre faux-pas, on est sûr de finir, lestés de béton, au fond de la Seine...
Mais Amédée, lui, il est absolument ravi. Faire des misères à la maréchaussée rien qu'en parlant latin, un rêve inassouvi !
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3. Opération Criquets
General FictionPaul et Nora, nos époux désormais épris, pensaient pouvoir enfin... Mais c'était sans compter... sans compter avec les « criquets », les « criquets » des Chinois alliés aux Calabrais. Autrement dit de pleins cargos tout bourrés d'immigrés, des cargo...