Petit matin, ça pince sec. Café bouillant, porridge. La fumée se mélange à la buée de la respiration. C'est pas le top, mais ça vaut mieux qu'en morceaux, bien froids, à la morgue...
Je repense au bunker du Mans, bien chauffé, avec ses tables en formica vert pomme. On était bien. Au pis, quelques petits bobos. Mais ensemble, entiers. Alors que là...
Pour commencer, faut que je puisse téléphoner au calme, sans risquer les paquets de barbouzes qui déboulent à cran. Pour téléphoner, faut que je récupère mon carnet d'adresses. Et pour récupérer mon carnet d'adresse, faut que je ranime mon portable, repérage garanti, même quelques secondes.
Ensuite, faut que je puisse téléphoner sans me faire remarquer, et puis quitter Nantes, passer à travers les mailles du filet, objectif Paris. Outre Bagnolet, juste de l'autre côté du périphérique, où on a rendez-vous avec Nora, Paris, c'est grouillant de partout.
Martin, avec ses Zadistes, ils ont des solutions en magasin. Pour le portable, descente dans un cinquième sous-sol, par exemple, avec suffisamment de couches de béton pour que satellites ou wifi : couic.
Ensuite, transfert de l'agenda sur un vieux portable à pédale, le genre que les experts de la police n'osent plus regarder dedans de peur de retrouver que des pièces détachées.
Pour le téléphone, des planques équipées, son échoppe de fringue par exemple, avec un vieux téléphone à cadran, muni d'un interrupteur. D'un côté, une bonne vieille ligne, avec numéro d'appel ; de l'autre, liaison directe au réseau filaire, sur le toit, en catimini.
Du coup, repérage délicat, gratos en prime, comme l'électricité qu'ils ont l'habitude de piquer directement branchés sur les alimentations. La perte en ligne, qu'ils appellent ça, les ingénieurs. Alimentation suçon, disent les Zadistes.
Pour passer au travers des caméras, ils ont une technique : le doublon. Deux mecs interchangeables qui circulent, uniforme zadiste de rigueur : barbe, bonnet, jean troué, polaire pareil, tennis de récup et chemise à carreaux, le tout couleur grisâtre, avec en prime un masque anti pollution, décoré parfois d'un faux nez rouge, bien clown. Sauf le bonnet, impossible d'identifier le bonhomme.
Deux maigres, même taille, qui vont et viennent devant les caméras, jamais en même temps, têtes penchées sur des cartons, dans un sens, dans l'autre, bien visibles, plein écran : ça saoule, jusqu'à ce qu'on ne voie plus que le bonnet.
Suffit de le changer pour faire croire qu'on change de bonhomme. Un même gars avec deux bonnets et un carton peut donner le tournis pendant un certain temps. Ça en libère un autre, le temps qu'il fasse ses petites affaires, avant de repartir.
Et on peut prévoir un troisième larron. Suffit de gérer les bonnets. Ça permet de faire durer le plaisir et la balade. En prime, on peut supprimer le nez rouge avec le masque anti pollution, et ajouter un accessoire à suçoter, bout de réglisse, pipe, paille, gingembre, clope... pour faire encore plus vrai.
Mais Martin est aussi capable d'improvisation. Le fil des des événements, c'est son truc. Son contact de la DGSI par exemple, un ancien flic, préposé anti conflits inutiles, pourrait peut-être servir... Pourquoi pas essayer.
Il prend son téléphone et l'entreprend, sur le mode aimable :
– Salut mon pote... t'as des problèmes, on comprend... Nantes est bouclée, certes... contrôles à toutes les entrées-sorties, compris... vaut donc mieux rester tranquille, pas bouger, se faire petit... à moins que...
– A moins que quoi ?
– Qu'on coopère.
– C'est-à-dire ?
– Si on te disait par exemple qu'on a vu ton bonhomme...
Changement de ton :
– Tu peux le prouver ?
– Le zinzin et le portable du sieur Dumonchelle, ça serait considéré comme une preuve ?
– Un peu, tiens !
Avant d'en dire plus, Martin se fait tirer bien long une oreille, puis l'autre oreille, bien long aussi : « faudra qu'ils s'engagent... côté forces de l'ordre... avec la justice... échanges de services... contrepartie nécessaire... »
« Pour les affrontements, on les fait bien payer, les Zadistes, et cher... alors pour une collaboration... un ordre de libération générale, par exemple... avec un laisser-passer, qu'ils puissent aller, venir... faire tranquillement leurs petits trafics, fringues, fromages de chèvre, et tsétéra... »
« Holà ! faut pas hurler, ni menacer... sinon motus... portable et zinzin : pschitt... engloutis par la boue des marais... et on n'aura jamais parlé de rien... »
« Cela dit, pour commencer... s'ils sont intéressés... on peut prouver notre bonne foi... en allumant le portable par exemple. »
« Ils devraient pouvoir vérifier... ils vérifient... okay... »
Et hop, on s'allume mon portable et je fais ni vu ni connu le transfert de mon carnet d'adresse sur leur fameux ordinateur à pédale.
Ils sont convaincus maintenant : parfait ! Nous en tout cas, on est ravi de leur aimable collaboration...
Mais il leur reste une question tarabustante : le bonhomme, le sieur Dumonchelle, qu'est-ce qu'on en a fait ? Et Martin de préciser : « Ben on l'a laissé partir... on écoute pas la radio en permanence... c'est seulement ce matin qu'on a réalisé... »
« Le type, hier soir, il nous a simplement escagassés, à brandir son zinzin à tout bout de champ... nous qu'on est pacifistes... enfin, à notre manière... »
« Alors... on lui a donné un peu le tournis... et on l'a expédié à travers champs... du côté de Malville, un peu dépouillé... c'est tout... »
« Ce qu'il est devenu... ah ça, on n'en sait fichtre rien... il a pas dû avoir chaud, en tout cas... il a même plus de quoi se payer à boire, le pauvre... »
« Maintenant, pour le portable et le zinzin... on est attendus dans leur QG, commissariat central, au plus vite... c'est d'accord... »
« En contrepartie, l'ordre d'élargissement des Zadistes part sur le champ... et pour le laisser-passer... check-point d'Orvault... c'est bon... notre joint du matin et on rapplique... »
Question fausses barbes, les Zadistes en ont toute une collection, couleurs ou formes, au choix. J'en prends une dans les blonds, pisseux, perruque assortie. Avec ça, tenue garantie zadiste : jean et polaire troués, tennis et chemise à carreaux idem, mitaines, bonnet mauve usagé, quand celui de Martin est verdâtre, avec du noir sous les ongles en abondance.
Sophie me met un collyre dans les yeux, qu'ils soient bien rouges et un peu glauques. Léger fond de teint, que j'aie l'air vaguement plus jeune, avec le ton rougeaud du mec qu'a l'habitude de pas dessaouler tous les matins, plus les petits joints...
Légère claudication en prime, et j'ai l'air véridique. Personne ne m'aurait reconnu. Pas même Nora.
Pour la voix, je serai un vrai taiseux, abonné borborygmes, incapable de dire autre chose que « putain, mouais, pas moi, bof, en plus, chais pas, plutôt, quoi, hein, ben, alors, c'est ça... », combinés éventuellement, mais deux à deux, jamais plus, sur un ton rauque et guttural.
Et pour le prénom, je garderai Popol. Ça aidera à les confuser.
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3. Opération Criquets
General FictionPaul et Nora, nos époux désormais épris, pensaient pouvoir enfin... Mais c'était sans compter... sans compter avec les « criquets », les « criquets » des Chinois alliés aux Calabrais. Autrement dit de pleins cargos tout bourrés d'immigrés, des cargo...