L'heure du déjeuner approche. On va le laisser réfléchir. Nora a tout prévu. Un château d'Yquem nous attend au frais, là-haut, pour accompagner un bloc de fois gras, en l'honneur de nos retrouvailles. Après : une petite sieste, avec un gros câlin.
Non, que le général ne s'inquiète pas : on ne va pas le laisser à jeun. On lui met une écuelle, avec une boîte de pâté pour chat dans un coin. C'est du saumon. Rien qu'à l'odeur, il peut la retrouver les yeux fermés.
Comme il peut le constater, on tient à lui. D'ailleurs, hop là, on lui enfile une petite camisole de protection anti suicide. Compte tenu de son moral, manifestement au plus bas, ça s'impose. Pour se désaltérer, il pourra laper l'eau qui traine encore dans les rigoles. Pas très claire, peut-être, mais désaltérante. Bien pensé : pas besoin des bras pour avaler tout ça, hein !
Vrai de vrai, en plus, le château d'Yquem, le bloc de foie gras, la sieste, sans oublier le câlin. Mais on se fait violence. On évite de trop s'éterniser. On est trop impatients de conclure.
Déprime aidant, le général, toujours bien lardé, un peu comme un rôti de porc, n'a touché à rien. J'ai pris avec moi la bouteille de Port Ellen, avec une paille, histoire de lui montrer que, même amputé, il reste encore quelques bonnes choses à suçoter. Avec des dollars, évidemment.
Effet escompté, il se déride :
– Si je passe à table, qu'est-ce que j'y gagne ?
– Ça dépend...
– De quoi ?
– De ce que tu mets sur la table.
– Ils sont vivants.
– Bon point...
– Je sais pas où.
– Mauvais point...
– Mais je peux les faire libérer.
– Points de suspension...
– Je m'y engage.
– Point d'interrogation...
– Je vous le promets.
– Point d'exclamation !
Faut qu'il comprenne, le bougre : sa parole, même d'officier général, même étoilé, demeure sujette à caution. Il ne sortira pas de cette cave sans que toute notre équipe soit libérée, lavée de tout soupçon, revenue en grâce...
Restera une note à payer : des aveux circonstanciés, pour la disparition du docteur Feuille par exemple. Il serait juste, et même équitable, en effet, qu'équipé d'un abondant patrimoine familial, il contribuât à dédommager sa veuve, avec les orphelins. Un minimum de morale, svp.
Il aura le choix : soit le cabinet du juge Barrère, soit une balle dans la bouche, une seule, proprette et sans bavure, ou presque, avant dilution à l'acide. Glouglou, et il s'en va peinard, via les canalisations.
Il n'est pas d'accord. Ça, on peut le comprendre. Mais dans ce cas, on va laisser passer les effets de la dernière péridurale avant de commencer les bains de pieds. A l'acide, ça va de soi. Veut-il débuter avec le pied droit ou préfère-t-il le gauche ?
Il veut surseoir, sans blague ! Dans ce cas, les codes : portable ET messagerie...
Merci mon général. On s'en va consulter tout ça, méthode Medhi, anti implosion de l'appareil. En attendant, on lui laisse la camisole, ainsi que le pâté au saumon...
Rendus à l'appart, Nora me montre ladite méthode. Une boite plombée, enrobée de béton, scellée dans le mur, à toute épreuve. Si ça implose, on entendra juste un petit « blop ». Et les bornes Wifi peuvent toujours courir pour repérer le moindre signal. Avec une prise USB pour brancher le portable sur un ordinateur, on pilote les opérations à l'abri, sur un petit bureau à l'écart, au cas où.
Effectivement, c'est le cas. Mais Medhi a tout prévu. Il a même installé un détecteur d'implosion, qui s'occupe tout seul d'interrompre le processus.
Là, il a eu tort, le général. Gravement. Parce que Nora, escagassée, faut s'en méfier :
– Bouge pas, je reviens, avec les codes. Les bons... cette fois.
Dix minutes plus tard, elle remonte. De la bonne besogne, même si sur le fond, j'ai jamais trop compris sa méthode dite « osseuse ». Efficace en tout cas : rien que pour avoir sa morphine, le général, il s'est mis à causer bavard...
Ah, c'est qu'il nous en apprend des choses, son portable ! Sa messagerie notamment, qu'il croyait à l'abri, avec double cryptage et mécanisme d'implosion anti intrusion. Mais Nora n'est pas sœur de Medhi pour rien...
Confirmation tout d'abord : les politiques de tous poils : roses, bleus, verts, rouges, oranges ; les pour, contre, sans, avec, anti ; les grands, moyens, nabots à talonnettes ; les purs, durs, mous, rigides, flexibles, chauves, chevelus, moumoutes ; teinture bonde, brune ou blanche ; bigleux et malvoyants, sourds et autistes, bottox ou ridés, tous à l'unisson ont réclamé notre tête, comme des cerfs qui brament dans les bois, en quéquette de biches qui broutent paisiblement le blé en herbe, dans l'attente indifférente de savoir lequel aura temporairement le privilège de les baiser.
Cause ou conséquence, ils ne veulent pas savoir. Exorciser le cauchemar des vidéos, fakes ou réelles, qui les montrent en galipettes, tenues affriolantes et postures animales, ils n'ont que ça en tête.
Le Président n'a pas dit oui, ni non, ni rien. Villeneuve s'en est chargé, chargeant des subordonnés de charger notre général, ressorti de sa boite pour l'occasion, sale besogne, suggérée, sans vouloir savoir, ne pas être sans ne pas ignorer, en se renseignant néanmoins, parfois, quand même, au détour d'une incise, à l'occasion et à demi-mots.
Présentement, l'équipage est au complet, au loin, au calme. Île de Mtsamboro, Océan indien, archipel de Mayotte. Deux kilomètres carrés, interdits au touristes, surveillés par des vedettes rapides en maraude. Plage de sable blanc entre deux falaises, forêt tropicale en arrière-plan.
Logés dans un village de huttes, ils peuvent se dégourdir au milieu des geckos... Pour la santé ils ont Caroline, pour la cuisine Aïcha, les cocotiers pour l'apéro, des caisses de bières pour passer le temps.
On se méfie d'eux. Les consignes sont draconiennes : aucun contact, jamais, sauf par talkie walkie, avec largages du strict nécessaire par hélico.
J'interroge Nora :
– On peut appeler Villeneuve sans se faire repérer ?
– Sans problème, mode incognito, spécial Medhi.
– Mode incognito ?
– Affichage d'un numéro d'appel aléatoire...
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3. Opération Criquets
Fiksi UmumPaul et Nora, nos époux désormais épris, pensaient pouvoir enfin... Mais c'était sans compter... sans compter avec les « criquets », les « criquets » des Chinois alliés aux Calabrais. Autrement dit de pleins cargos tout bourrés d'immigrés, des cargo...