Chapitre 2
Harry avait une crampe douloureuse dans la main à force d'appuyer sur le parchemin. Il lâcha le stylet pour se masser la paume. Il aimait lire, travailler sur les ouvrages, mais être obligé de faire des lignes pour former son écriture l'exaspérait. Il se demandait comment les copistes ne se décourageaient pas de l'aspect répétitif de leur travail, comment ils s'arrangeaient des multiples crampes, comment ils supportaient que leurs yeux s'abîment au fil des ans.- C'est l'heure. Que les novices me suivent, dit une belle voix grave.
Harry réprima un frisson en se levant. La voix de frère Severus, le maître des novices, lui faisait un drôle d'effet, depuis plusieurs mois. Ce n'était pas de la crainte, comme auparavant; non, c'était une sensation beaucoup plus douce. Pourtant il connaissait l'homme depuis son entrée au monastère, alors qu'il n'avait que onze ans, et il l'avait aussitôt détesté. Le maître des novices était cassant, désagréable, sarcastique. Mais depuis que Harry avait atteint ses dix-huit ans, il posait un autre regard sur lui. Il le trouvait plus fascinant qu'effrayant, il était intrigué par sa personnalité complexe, et il appréciait son esprit vif. Peu d'hommes ici avaient son charisme.
Frère Severus aimait passer du temps à la bibliothèque lorsqu'il y surveillait les novices sous sa responsabilité. Il feuilletait les manuscrits sur la nature, semblant les dévorer de ses yeux rapides, de ses doigts agiles. Il ne levait jamais les yeux sur la superbe coupe d'or qui trônait sur un socle, cadeau inestimable d'un roi, et que tous admiraient.
Severus, ayant lâché son livre à regret, conduisit les novices dans la cour. Devant eux s'ouvrait une allée bordée d'arbres qui menait à la chapelle du monastère. Les édifices des bains et de l'hôpital se tenaient à gauche, adossés au mur d'enceinte. Le jardin du cloître séparait l'église de la bibliothèque et du bâtiment conventuel où dormaient les moines. Sur le côté droit, au-delà d'une vaste esplanade, on trouvait plusieurs bâtiments à vocation agricole, étables, écuries, greniers. Le plan du monastère de Saint-Gal, si parfait que seul un saint pouvait l'avoir dessiné disait-on, avait été parfaitement imité : la porte du monastère s'ouvrait à l'ouest et l'autel de l'église était tourné vers l'est, permettant aux chrétiens de prier en direction de Jérusalem. Les plus célèbres abbayes d'Europe n'étaient pas mieux agencées.
Severus conduisit les jeunes moines au-delà du mur d'enceinte jusqu'aux terres cultivées qui entouraient l'abbaye. Les novices, qui n'avaient pas encore prononcé leurs voeux définitifs, ne travaillaient pas aux taches « nobles » de la transmission du savoir. Hormis quelques heures le matin, ils n'avaient pas accès au scriptorium. Harry brûlait du désir de passer beaucoup plus de temps avec les livres. Il avait un talent certain pour le dessin, il voulait enluminer les ouvrages. Pour l'instant, il devait se contenter du travail manuel.
Harry prit sa bêche en soupirant. Il était censé retourner une bonne partie du jardin potager, ce qui ne lui convenait guère. Il avait un corps fin et fragile, peu fait pour ce genre d'activités. Certains de ses camarades se moquaient de lui pour cela, comme ils se moquaient de la cicatrice qui zébrait son front. Heureusement il avait quelques amis, principalement parmi les novices qui comme lui avaient été laissé à l'abbaye depuis des années par leur famille.
Severus s'était éloigné pour jeter un coup d'oeil aux plantes qui poussaient dans son jardin privé. Il était un grand connaisseur en herboristerie et, même s'il n'occupait pas la fonction d'infirmier à l'abbaye, il aidait fréquemment le frère herboriste dans ses préparations. Ron profita de son absence pour se rapprocher de Harry.
- J'ai encore fait le mur hier soir, murmura-t-il.
- Ron! dit Harry avec reproche. Si tu te fais prendre, tu auras une lourde pénitence.