Cloîtré 3.

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Chapitre 3
La première cloche, qui annonçait l'office de laudes, était la plus douloureuse. Elle arrachait de leur lit les moines, encore peu fringants et frissonnants de froid, et les poussait vers l'église alors que le soleil n'était pas encore levé. Il fallait être à jeun pour communier, donc le premier repas était reculé d'autant. Aucun réconfort à attendre de ce côté là.

Le dortoir des novices était l'endroit de l'abbaye où le son de la cloche était le plus mal accueilli. Les garçons se levaient en maugréant, et la Règle de saint Benoît était parfois l'objet de commentaires peu flatteurs.

- Quel curieux type ce devait être ! Comme s'il était vital de nous réveiller aussi tôt ! lança Seamus, toujours ronchon le matin.

- Il n'y a pas de temps à perdre pour servir Dieu, répliqua Dean avec un air faussement angélique qui fit ricaner ses voisins.

Benoît de Nursie avait écrit le règlement qui régissait la vie des moines. Les Bénédictins de toute l'Europe vivaient selon ses instructions. Elles étaient parfois douces et consolantes, lorsque Benoît prescrivait l'étude, le travail : ses occupations chassaient les idées noires qui parfois assaillaient les hommes, aussi religieux soient-ils. Mais d'autres aspects étaient difficiles à vivre : l'office de matines avait lieu entre 2 et 3 heures du matin ; les moines étaient tirés de leur lit par le frère veilleur pour réciter des psaumes, encore engourdis de sommeil. Puis ils avaient permission de se recoucher jusqu'aux laudes. Les novices, jugés trop jeunes, étaient dispensés des matines.

- Profitez bien de vos dernières nuits complètes, mes frères ! lança Seamus avec mauvaise humeur. A la fin du noviciat, nous devrons nous lever comme les autres. J'en suis fatigué d'avance.

- Si nous votions un nouvel emploi du temps ? proposa Neville, enjoué.

Son voisin Blaise prit un air outragé que malheureusement il ne feignait pas.

- Il est interdit de critiquer la Règle! Je pourrais tous vous dénoncer lors du prochain chapitre !

La moitié du dortoir le hua. L'autre moitié était encore trop ensommeillée pour réagir. C'était le cas de Harry, assis sur son lit, se frottant les yeux. Pourtant le lit monacal n'avait rien pour que l'on s'y attarde: des lattes de bois, un tissu rêche fourré de paille et une couverture très fine par-dessus. Saint Benoît l'avait voulu ainsi, pour combattre la paresse naturelle de l'homme, mais Harry trouvait quand même que c'était dur à supporter.

Il se tourna vers Ron, qui ne s'était pas encore redressé.

- Est-ce que j'ai crié cette nuit?

Il était sujet aux cauchemars et criait parfois dans son sommeil, ce qui lui valait l'animosité de certains novices. Il n'y pouvait pourtant rien. Lorsqu'il était enfant, il avait assisté au meurtre de ses parents par un bandit de grand chemin que l'on appelait Tom Riddle. Il n'avait jamais guéri de ce traumatisme. Il ne pouvait en parler à personne; personne ne l'écoutait. Les temps étaient durs pour tout le monde et il n'était pas le premier à qui une tragédie arrivait.

- Mmm..., marmonna Ron.

Seuls ses cheveux roux émergeaient du lit. Harry répéta sa question.

- Je n'en sais rien, grommela finalement Ron. J'ai dormi comme une souche.

Il avait les traits tirés et se frottait le visage avec un air hébété. Harry écarquilla les yeux avec incrédulité en se penchant vers lui.

- Tu es encore sorti cette nuit ?

- Pas de sermon, par pitié. J'en ai mon content, ici.

Il s'extirpa de sa paillasse et tituba sur le sol. Harry renonça à lui faire la morale. Il était évident que Ron était amoureux: il n'agissait pas ainsi seulement par goût du risque. Tout appel à la raison était donc inutile.

Cloîtré.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant