Au petit matin, Harry était exténué : les cauchemars, l'insomnie, le mélange d'émotions violentes qui l'avaient traversé depuis deux jours, tout cela avait anéanti ses forces. Il ne rêvait que de se rouler en boule dans un endroit caché de tous pour y dormir et oublier. Mais il ne devait pas céder à la douleur morale, il devait être fort et prier Dieu d'apaiser son esprit tourmenté.
Pour la première fois depuis longtemps, il se réjouit de devoir se rendre à la chapelle. Il espérait que l'atmosphère paisible et chargée d'encens le calmerait. Il avait terriblement besoin d'apaiser son angoisse, il se raccrochait à sa foi, à l'espoir que tout s'arrangerait.
Il se hâtait de traverser la cour mais en rasant les murs, comme il en avait pris l'habitude depuis sa funeste nuit avec le Prieur. Se faire totalement oublier était devenu son obsession et il en frémissait de honte : son courage inné se révoltait de devoir se cacher alors qu'il n'était coupable de rien...
Justement le Prieur apparaissait à la porte de l'abbaye. Harry sursauta et se plaqua contre le mur, rabattant le capuchon sur sa tête. Si seulement il avait eu une cape d'invisibilité ! Du coin de l'œil – car sa curiosité était la plus forte- il constata que Lucius était accompagné du comte Cornelius Fudge. Cela ne lui disait rien qui vaille. Lorsque le pouvoir civil se mêlait à la sphère religieuse, ne régnaient que l'intrigue et les déceptions.
Harry avança doucement jusqu'à se dissimuler sous les arcades. Lucius et le comte allaient passer près de lui. Heureusement, la robe sombre des Bénédictins conjuguée à la noirceur de la nuit venaient à son secours. Il vit alors que le comte était accompagné de sa femme, silhouette hiératique qui le dominait d'une demie-tête. Sans discerner son visage, on la devinait austère et sans indulgence. Harry se pencha, entendit un seul mot : « scandale », et son cœur se serra. Le scandale : était-ce lui, était-ce Ron ? Qui risquait de subir les foudres de la loi ? Harry ne voulait pas rester dans l'incertitude, il fit demi-tour et, demeurant dans l'ombre du cloître, resta à hauteur pour entendre leur conversation.
Le comte avait un air profondément mécontent qui rendait sa physionomie inquiétante.
- Je compte sur vous pour y mettre bon ordre, monsieur le Prieur. Je ne saurais tolérer que l'abbaye sur mes terres voit sa réputation entachée par des questions de mœurs.
Chaque syllabe exhalait le mépris. On ne savait s'il était surtout horrifié par le fait que des clercs aient des désirs comme les laïcs ou par l'idée que son propre nom soit mêlé de près ou de loin à un scandale. Lucius répondit vivement, d'une voix inspirée et particulièrement vertueuse :
- Je vous assure que plus personne ne pourra dire un seul mot sur les mœurs régnant ici. L'indulgence coupable d'Albus a permis des dérèglements qui n'existeront plus avec moi !
L'indignation suffoqua Harry. Il savait déjà le Prieur menteur, hypocrite, corrompu. Qu'il se permette en outre de salir Albus, c'en était trop ! Il avait une folle envie de se jeter sur Lucius et d'effacer son air suffisant à coups de poing.
Brûlant de haine, il reprit son chemin vers l'église et se jeta au pied de l'autel. « Credo in unum deum... » Mais à quoi bon s'adresser à un Dieu qui permettait aux hommes comme Lucius de mener le monde ? Quel pouvoir avait-il donc ? Et à quoi pouvait bien servir un Dieu qui n'était pas tout puissant ?
La chapelle se remplit à l'arrivée des autres moines et des novices. A sa grande surprise, Harry vit frère Severus revêtir le paramentique et l'aube pour célébrer la messe à la place du Prieur.
- Que se passe-t-il ? souffla-t-il à Ron.
- Le Prieur met ses habits de cérémonie. On dit que le comte va annoncer la nomination de Lucius au titre d'abbé.