Ce n'est pas que moi.
Après de nombreux rendez-vous chez le psychiatre, des milliers de questions et quelques tests, le verdict est tombé. Tout ce que je vivais et étais ne s'expliquait que par trois mots. Mon instabilité émotionnelle, relationnelle et interpersonnelle n'était que le résultat de ces trois mots qui composaient ce que j'ai été et serais toujours. Mon émotivité, mes troubles de l'appétit, ma sensibilité du regard des autres. L'automutilation. Les tendances suicidaires. Tout ça était au coeur du diagnostique. Tout ça, ce n'était pas moi. C'était la maladie. Je n'ai jamais été moi. Je ne serais jamais moi. Parce que c'est moi et la maladie.
- Que s'est-il passé ? Me demande l'adulte, supposé m'aider.
- Il est devenu acerbe alors qu'il était tout ce que j'avais.
- Tu aurais pu en parler avec lui, avant que ça ne te provoque de telles crises.
- Je ne suis pas fais pour parler. Je n'aurais pas réussis. Face à lui, je me sens minable, j'ai l'impression d'être important mais aussi insignifiant. Avec sa présence, je suis encore plus instable qu'habituellement et c'est vraiment déroutant.
- Que ressens-tu habituellement ?
- Je ne sais pas vraiment. C'est assez flou pour moi tout ça.
- Et ici ?
- Ici, j'ai seulement deux repères temporels, vous savez. Chaque repas et la fenêtre de ce bureau. D'ailleurs, le soleil s'est couché ce soir dans les nuées ; demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit ; puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ; puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit ! La seule chose qui passe dans ma vie est le temps. Tous ces jours passeront, ils passeront en foule. Le temps, ma vie, chaque seconde, chaque instant qui la compose passent exactement comme un individu sur Terre. Ils commencent. Se fondent dans la masse, se confondent avec les autres, puis se terminent pour ne plus jamais revenir. Connaissez- vous "Soleils Couchants" de Victor Hugo ?
- Non je ne connais pas.
- Je m'en doutais, si vous le connaissiez, vous l'auriez reconnu. Et la face des eaux, et le front des montagnes, ridés et non vieillis, et les bois toujours verts, s'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes, prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers.
- Que représente pour toi ce poème ?
- La vie. Les Hommes naissent, grandissent, vieillissent, meurent, tandis que la nature ne bouge pas. Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête, je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, je m'en irai bientôt, au milieu de la fête, sans que rien manque au monde immense et radieux ! L'arbre du jardin de grand père était là quand papa est né, l'était encore quand je suis né, n'a pas bougé quand grand père est mort, ne bougera pas quand papa le sera et sera encore là quand je mourrais. Un jour je mourrais au milieu de la fête qu'est la vie, sous ce soleil qui chauffe notre planète, alors que ma peau sera devenue froide. Je ne manquerai pas au monde, il est bien trop grand pour s'apercevoir de ma disparition. Les gens sont bien trop occupés à mener leur vie. Parfois, j'ai l'impression d'avoir le mal du siècle, d'être un romantique au dix-neuvième siècle. J'ai l'impression d'être désabusé, de ne pas être né au bon moment au bon endroit. Et c'est terrible.
- C'est ce désir d'évasion qui te pousse à provoquer la mort ?
- Sans doute. Ce ne me fait pas peur. Pas à moi. En général, les gens angoisse face au temps qui passe. Alors, la société en joue, tous les jours, pour tout et n'importe quoi. Par exemple, certain essayent de dissuader les gens de fumer par la prévention présente sur les paquets, parce que ça peut provoquer la maladie et ainsi la mort. Alors, certaines personnes refusent de fumer pour la simple et bonne raison que ça les réconforte comme s'ils n'allaient jamais mourir. Seulement, inconsciemment, on a tous la lucidité de la finitude de l'Homme. Sauf que moi, ça ne m'effraie pas.
- Comment as-tu découvert ce poème ? Il m'a demandé.
- En étudiant le français à l'école. J'ai toujours eu un faible pour cette langue, c'est pour cela que j'ai commencé à l'apprendre très tôt. Je la trouve beaucoup plus intéressante que l'anglais. Le français est une langue peu tonique, plutôt monotone. Et je m'y identifie assez. Cependant, c'est une très belle langue, comme Harry, et c'est sans doute un des seuls détails qui nous différencies. Aussi compliqué l'un que l'autre, chaque individu commet l'erreur de ne pas nous connaître suffisamment. Parfois, nous pouvons même être indécis de ce que nous sommes. Malgré tout, je reste un ver de terre amoureux d'une étoile.
- Un verre de terre amoureux d'une étoile ?
- Ruy Blas de Victor Hugo. Acte deux, scène deux. La Reine reçoit la lettre d'un inconnu dans lequel il lui avoue ses sentiments pour elle se comparant à un ver de terre et elle à une étoile.
C'est drôle à quel point un mot peut atténuer la beauté d'un texte ; malgré tout, je suis de ceux qui pensent qu'à partir du moment où l'on commence à parler on ne doit pas être effrayé par les mots. La langue est telle qu'elle est, il ne devrait pas exister de tabou. Si un mot existe, alors, il peut être utilisé. C'est pour cela aussi que je ne m'exprime pas, les mots que j'emploieraient seraient beaucoup trop dur à l'égard des autres. Alors je me tait et garde les choses juste pour moi. Et ce n'est pas plus mal. De plus, un proverbe dit, " Si ce que tu dis n'est pas plus beau que le silence, alors tait-toi. " Donc, je me tais. Mais désormais , chaque jour on me demande de parler. Je ne sais pas pour combien de temps, mais j'espère que ça se finira très rapidement. J'ai toujours l'impression que les gens ne me comprendront jamais. Ni moi, ni ma souffrance. Et à présent, ni ma maladie.
" [...] Sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là ; qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ; Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile ; qui pour vous donnera son âme, s'il le faut ; et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. "
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Autodestruction | NARRY |
Fanfiction《 Je me lève chaque matin, l'air de rien. Je m'habille, vais à l'école, je souris mais pour personne. Je suis seul, complètement seul. Délaissé comme un chiot abandonné. J'ai peur, vous savez ? Mais je fais avec, j'affronte mais je sais que le lende...