J'étais assisse sur la même chaise, dans la même chambre, devant la même personne, entourée des mêmes décorations, et de la même vue.
j'étais là, sans dire un mot, à attendre que James daigne se réveiller. S'il décidait de se réveiller en ma présence.
Et, comme d'habitude, je savais qu'il faisait semblant de dormir et que, donc, il entendait très bien.
Je n'avais pas besoin qu'il me réponde, juste de savoir qu'il m'écoutait.
Alors, comme toujours, je me mis à parler dans le vide.
- James, je suis désolée.
Je commençais tout le temps par ça. Il fallait bien qu'il le sache.
Jusqu'à il y a deux ans, je ne connaissais même pas son existence. Comment pouvais-je savoir que ma mère, ou moi, lui avions fait du mal, directement ou indirectement ?
- Je sais que tu ne veux pas me voir, mais ça ne changera pas de d'habitude. Je voulais te parler de choses et d'autres, comme le font les frères et sœurs, puis je me suis rappeler que tu ne voulais pas être mon frère. Mais je suis quand même venue. Et je t'ai apporté quelques films. Tes parents adoptifs m'ont dit que tu adorais.
Il a ouvert les yeux brutalement, ce qui me fit sursauter. Il n'avait jamais fait ça auparavant !
J'hésitais même à appeler une infirmière.
- Comment... comment vont-ils ?
Il avait l'air perdu, troublé, même, et je me suis retrouvée dans ce regard. Ses yeux étaient mouillés par la tristesse et la culpabilité, mais ils possédaient encore une petite lueur vive d'espoir.
- Ils vont bien. Enfin, comme peuvent l'être les parents à qui leur enfant manque énormément.
C'était la première fois qu'il me parlait comme ça. Sans crise de colère ni de panique. C'était plutôt agréable...
- Ils t'ont donné quelque chose pour moi ?
Je vis la lueur d'espoir dans son regard grandir et pétiller de milles feux.
- A vrai dire, oui. Ils m'ont donné un très vieux film. Ils ont dit que c'était ton préféré et que tu comprendrais...
Je lui ai tendu la pochette que j'ai sorti de mon sac à main, et j'ai regardé la larme coulé sur sa joue.
- Je ne savais pas que tu aimais les classiques.
J'ai souris à son intention. Je n'avais jamais vu ce film, mais j'en avais déjà entendu parler : c'était un très bon film, de ce que j'avais cru comprendre.
Il le tenait d'une façon très étrange, comme s'il possédait le Graal entre ses mains.
- C'est le premier film qu'ils m'aient jamais montré. Mon père est un grand cinéphile, il voulait absolument que je le vois en tout premier. Je t'avoue que la première fois, je n'ai rien compris du tout.
Il s'est tourné vers moi, comme s'il me voyait pour la première fois depuis longtemps, puis s'est penché vers moi.
- Tu crois qu'ils pourraient venir ? J'ai beaucoup de choses à leur dire comme... comme...
- Je suis désolé ?, ais-je tenté, en sachant très bien qu'il ne parlait pas que de ses parents.
- Oui... Oui, entre autre.
- Je pense que personne n'y verra d'inconvénient, James. Je les appellerais pour le leur dire...
Il hocha la tête, mettant en arrière ses cheveux blond, exactement comme ceux de ma mère.
- Et toi... tu vas bien ? je veux dire... tu as l'air changé.
- Maman ne t'a pas dit ce qu'il s'est passé pendant ton coma ?
- Elle m'a dit... pour ta copine.
J'ai sentis une force me quitter soudainement.
- Sorry for your lost, sister.
Je n'avais même pas réaliser qu'il venait de me dire "mes condoléances" en anglais, ni qu'il m'avait appelé "sœur".
J'avais juste compris qu'il s'était excusé, peu importait la langue.
Je me souviens juste avoir fini en pleurs, dans les bras de mon frère.
Et personne ne m'enlèvera ça.
****
Bien des années auparavant.
- Madame, c'est un beau garçon.
- Je... je...
- Non, June. Tu sais très bien ce qu'il faut faire. Ce n'est pas le moment d'hésiter.
- Mais... Papa... Je...
- Il n'y a pas de "mais" ! Tu ne garderas pas cet enfant ! Tu as à peine vingt ans, June.
- Brandon a promis de m'aider, Papa... Je...
- Ton petit voyou ne t'aidera en rien, crois-moi. C'est déjà bien beau que ta mère et moi te laissions donner à cet enfant de quoi te retrouver un jour, mais de là à avoir une autre bouche à nourrir, non merci. Et tu as pensé à tes études ? Non, c'est bien mieux comme ça. A présent, dis-lui adieu.
Le médecin prend l'enfant dans ses bras et attend un moment.
- Arrête de pleurer comme ça, June. On lui a trouvé une très bonne famille.
- Dites-leur... Dites-leur qu'il s'appelle James. S'il vous plaît, dites-leur..., supplie-t-elle en regardant le docteur, les yeux mouillés de larmes.
- Je le leur dirais. Promis.
- Merci... merci...
- Ne chouine pas comme ça, June. Tu le reverras, tu le sais.
Sa fille continue de pleurer sans arrêt.
Au fil du temps, cette tristesse se transforme en colère, une colère sans limite pour ses parents, qu'elle quitte deux ans plus tard pour ne jamais les retrouver.
Puis pour sa fille, pour qui elle ne montre aucun signe d'affection ou de pitié.
Elle perd peu à peu son sourire, devenant froide et incapable de sentiments.
L'enfant qu'elle a perdu est là, quelque part dans le monde.
Tout son être regrette, culpabilise, mais elle ne peut revenir en arrière. Alors, elle est incapable d'avoir à nouveau cette force maternelle, qui l'avait autrefois poussé à devenir maman.
Cette force qui avait finalement disparue face au jugement de son père.
Son second enfant est là, sous ses yeux, à grandir et à changer.
Un petite part d'elle-même la regarde avec admiration.
La deuxième la hait et la rejette pour ne pas avoir à souffrir une seconde fois.
Elle n'a pas pu retrouver cette force maternelle, et sa pauvre fille en est le résultat.
Fille d'une mère menteuse, indigne, lointaine, indifférente, monstrueuse.
Il y aurait beaucoup d'autres mots pour la qualifier, elle le sait.
Mais aujourd'hui, elle n'en a que faire.
Ces erreurs du passé ont forgé cette femme sans cœur.
Mais il ne faut pas pour autant que sa fille devienne comme elle.
Ce serait là un de ses plus grands regrets.
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Les secrets de Beverly Abbott
Fiksi RemajaEt si vous voyiez les choses du côté de la garce qui cache un lourd secret ? Voire deux ? Ou même une infinité ? De celle qui fait du mal aux gens pour se rassurer de sa propre souffrance ? Si vous voyiez mon point de vue, à moi, Beverly Abbott ? A...