Le cœur sombre

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2016


Une bonne couche de maquillage pour cacher mes défauts, des vêtements de marques pour faire croire que j'en avais vraiment quelque chose à faire, un sac de nouvelle collection pour ranger de quoi faire quelques retouches makeup de dernière minute et des chaussures à talons avec lesquelles il était presque impossible de marcher.

Tout ça sans compter la coiffure qui m'avait pris au moins une heure à faire.

C'était ma nouvelle routine matinale, en opposition avec la période de ma vie où je ne mettais pas de maquillage, et où je piochais un jeans, un haut, une chemise à carreaux dans mon armoire en accessoirisant avec mes converses favorites.

Mes parents ne faisaient même plus attention à la façon dont je menais ma vie, ni aux gens que je fréquentais.

Ma mère n'en avais sans aucun doute rien à faire, et mon père voyait cela comme une façon de faire mon deuil.

Le deuil de Lexie, mais aussi le deuil de moi-même.

Et moi, comme une idiote, je me disais que c'était la meilleure chose à faire.

Les gens me regardaient comme si j'étais une extra-terrestre.

L'ancienne Beverly Abbott était morte à leurs yeux.

Pour moi, elle était toujours quelque part en moi, enfouie au plus profond de mon cœur, mais... disons qu'elle la mettait en veilleuse.

Et c'était peut-être mieux comme ça, malgré ce que disais mes parents et les Rosebury.

J'étais peut-être mieux dans la peau de cette fille-là.

Mais, aussi bien que je savais que la vraie moi était encore présente, je savais que c'était un mensonge.


****


De nos jours.


Chad était reparti, et j'étais restée seule dans ma chambre un long moment, à méditer sur ce qui s'était passé ce matin.

Les souvenirs, la crise d'angoisse...

C'était quelque chose qui me retenait en arrière.

A chaque fois que quelque chose de beau, de merveilleux m'arrivait, mes souvenirs revenaient comme un rappel.

Un rappel qui disait "tu ne pourras jamais être heureuse".

Et ça m'effrayait.

Je sentais mon sang ne faire qu'un tour.

Je me calma lorsque quelqu'un toqua à la porte et que je vis la tête de Craig passer ma porte.

- Tu voulais me voir ?

Mon cerveau semblait perdre le contrôle

- Oui, il fallait que l'on parle...

- Et il fallait que tu fasses une crise d'angoisse pour ça ?

- Non, c'était pas dans mes projets. Qu'est-ce que tu fais avec un sac aussi gros ?

- Ah, ça. On verra après, tu veux bien ? Tu as quelque chose à me dire en particulier ?

- Oui, c'est... c'est à propos de la soirée d'hier.

C'est la que j'ai fais la plus grosse connerie de ma vie.

- On était totalement bourrés, et je suis désolée pour le baiser... C'est juste que je me suis souvenue de... d'avant et que... De toutes façons, tu n'aurais jamais fait ça sobre, n'est-ce pas ?

Son regard a immédiatement changé. Il était devenu fou de rage.

- Comment peux-tu être aussi égoïste ?!

- Pardon ?

- Tu ne penses vraiment qu'à toi !! Tu n'as pas idée de combien ça fait mal de te voir renoncer à tout parce que tu t'attaches au passé ? De te voir te cacher comme ça ? Non, laisse tomber. Laisse tomber ! J'aurais pas dû venir, c'était une mauvaise idée !

J'étais au bord des larmes. Qu'est-ce que j'avais fait ?

- A la mort de mon père, je suis devenu ce qu'il appelait "un cœur sombre". Quelqu'un qui prend de mauvaises décisions en pensant faire le bien. C'était une période très difficile pour chacun de mes proches et pour moi. Mais tout ça a changé quand j'ai décidé de te venir en aide. Alors arrête de penser que tu fais du mal aux gens, parce que tu m'as sauvé.

Il s'était levé, et il était tourné vers la porte, prêt à partir, lorsqu'il a sorti un manuscrit de son sac et qu'il l'a posé sur mon lit.

- Ma mère voudrait que tu le lises.

- Craig. Craig !

J'avais merdé. Clairement. Il était déjà loin lorsque mes larmes ont commencé à couler.

Pourquoi est-ce que je suis comme ça ?

Un cœur sombre.

C'était aussi ce que j'étais devenue à la mort de Lexie... Mais personne jusque là n'avait pu m'en sortir, contrairement à Craig.

Le livre de sa mère était posé juste à côté de moi, la couverture taché de café, mais, en l'ouvrant, on découvrait des pages parfaitement propres.

Il fallait que je le lise.

Elle avait fait ça pour m'aider.

Plus que ça : j'avais envie de le lire.

Mais, ce dont j'avais plus envie encore, c'était de courir après Craig, de le rattraper et de tout faire pour me faire pardonner.

Mais, alors que je m'apprêtais à me lever, ma mère entra dans la chambre et me rassit délicatement, séchant mes larmes.

- J'ai vu Craig partir en furie, et voilà que je te retrouve en pleurs... Que s'est-il passé ?

- Je suis un monstre d'égoïsme, Maman.

- Certainement pas ! Tu n'es rien à côté de moi, je te l'assure. Tu as vécu des choses difficiles, Beverly, et il te faut du temps. C'est tout.

- Non, c'est plus que ça ! Je fuis tout le temps ! Pourquoi je ne peux pas faire face ?

- C'est déjà bien de le savoir. Affronter tes peurs et aller de l'avant, ça viendra, je te le promet. Il suffit parfois... d'un petit détail qui change tout.

Elle m'a regardé comme elle ne l'avait jamais fait, les yeux pleins d'espoir.

- Je suis contente que tu es pu te réconcilier avec James.

- Et toi, ne t'inquiète pas pour Craig. Tout va s'arranger.

Elle m'a prise dans ses bras et elle m'a serré contre elle. A présent, je voyais la mère qu'elle aurait dû être depuis le début. Je voyais ma mère. Celle qui arrêtait de se cacher. Celle qui affrontait ses peurs et qui allait de l'avant.

Moi qui voulait à tout prix devenir quelqu'un de différent de ma mère, je voyais que j'étais déjà la même, et que, comme elle, j'étais prête à avancer.

Les secrets de Beverly AbbottOù les histoires vivent. Découvrez maintenant