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Que se passe-t-il lorsque l'on a trente ans et que toutes nos amies sont en couple et mères de famille ? Je peux facilement répondre à cette question.

On se retrouve comme moi dans un bus rempli de touristes du troisième âge à rouler à travers la campagne anglaise afin de visiter un quelconque château qui aurait pu avoir inspiré mon auteure fétiche, Jane Austen, pour l'un de ses romans.

Comble de malchance, une fois n'est pas coutume, il fait une chaleur atroce en ce début de mois de juin alors de la climatisation du bus est en panne. Je remercie le ciel d'avoir choisi de porter la robe longue mais en tissu léger que j'ai achetée hier sur un coup de tête. A défaut de bien la porter avec ma petite taille et mes kilos en trop, au moins j'ai moins chaud. Je maudis tout de même ma vanité qui m'a poussée à porter un serre taille visant à camoufler tout bourrelet disgracieux sous le tissu léger. En plus de dégouliner de sueur, j'ai du mal à respirer et la matière élastique me démange atrocement.

Bref, après mes déboires vestimentaires, viennent mes déboires personnels.

Comme je vous le disais, je me retrouve seule pour faire le voyage dont je rêve depuis l'adolescence. Marcher sur les traces de Jane Austen. Malheureusement, ce n'est pas vraiment le cas de mes proches. Comme il était hors de question de renoncer à ce voyage, je me suis lancée seule dans l'aventure.

Les deux premières semaines se sont écoulées rapidement. Après être passée par les principaux lieux de sa vie, me voilà dans un bus parti de Bath pour deux heures de trajet afin de découvrir le fameux château.

Nous ne tardons pas à arriver. Le château est encore plus beau que dans mon imagination. Il est érigé sur une colline au pied de laquelle s'étend un plan d'eau. Bien que cette vue soit majestueuse en elle seule, je sais que d'autres merveilles m'attendent dans le jardin à l'anglaise à l'arrière de l'imposante bâtisse. Cependant cela ne suffit pas à faire remonter mon humeur .

Bien qu'entreprenant ce voyage seule, mon imagination m'avait poussée à croire que lors de cette visite je serais tombée sur mon Mr Darcy sur le trajet et qu'au retour nous serions éperdument amoureux. Or, à moins de tomber sous le charme d'un sexagénaire dégarni, je ne risquais pas de trouver mon bonheur dans les participants à cette excursion !

A la descente du bus nous avons droit à un briefing sur le temps alloué sur place et un petit rappel de l'interdiction d'embrasser la statue de Mr Darcy exposée dans le hall d'entrée. Qui aurait une idée aussi saugrenue ? Et bien, même si j'ai un peu honte de l'avouer, moi !

Lors de mon départ pour mon périple sur les traces de Jane, je m'étais imaginée un voyage dans le goût de celui de Kerri Russel dans le film Austenland. Autrement dit j'étais très loin de la vérité.

Malgré quelques rencontre sympathiques dans les bars de Bath où je séjournais depuis une semaine, aucun homme ne m'avait assez fait tourner la tête pour que je m'imagine converser avec Mr Darcy.

Je dois me faire une raison, Mr Darcy est un personnage de fiction vivant à une autre époque que la notre. Il n'existe tout simplement pas ! Une fois que cette idée sera bien ancrée dans mon esprit peut-être pourrai-je enfin rencontrer un homme avec qui commencer une vie de famille.

Perdue dans mes sombres pensées je n'ai pas vu le groupe s'avancer vers l'entrée du château. Je quitte précipitamment le parking réservé aux bus et pars en courant vers l'entrée. En passant la porte je heurte violemment un homme qui en sort. Alors que je cherche mes mots en anglais pour m'excuser, l'inconnu se tourne vers moi visiblement en colère d'avoir été bousculé :

- Vous ne pourriez pas regarder où vous allez ? Ce serait trop vous demander sans doute ?

Puis il ajouta dans sa barbe :

- Je commence à en avoir plus qu'assez de ces touristes sans éducation !

Il n'en faut pas plus pour me faire sortir de mes gonds :

- Moi ? Mal élevée ? Ce n'est pas moi qui me montre insultante envers les touristes ! Si vous êtes un employé du château je ne manquerai pas d'exprimer le fond de ma pensée à propos de vos manières sur le livre des réclamations. Vous bousculez les visiteurs et en plus vous montrez insolent envers les clients !

- Apprenez à regarder où vous allez chère madame ou demandez à votre vieux beau qui vous accompagne sûrement de vous apprendre les règles du savoir vivre et vous escorte sous bonne garde afin que vous ne vous comportiez pas comme une demoiselle en rut !

C'est à l'issue de cette phrase que je perds tout contrôle sur mon corps et regarde médusée la marque rouge virant au violet que ma main laisse sur sa joue.

Suite à ce geste malheureux je ne trouve rien de mieux que de tourner les talons et m'engouffrer dans l'entrée fraîche et sombre de la bâtisse.

Bien que la visite du château soit assez plaisante, je n'arrive pas à chasser de mon esprit la rencontre désagréable à mon arrivée. Une fois le tour du château terminé, nous avons quartier libre afin de nous promener dans le magnifique parc. Trop heureuse de m'éloigner de mon groupe composé de retraités, je délaisse la petite boutique de souvenirs aménagée dans un coin et me précipite vers la sortie.

Eblouie par le soleil, je ne vois pas où je pose mes pieds et trébuche sur un objet au sol. Je tends les bras et essaye désespérément de me retenir à quelque chose mais c'est peine perdue. Je bascule vers l'avant et me vois déjà au sol couverte de poussière quand je heurte quelque chose.

Ma chute est amortie et je me retrouve assise à califourchon sur un objet non identifié. Quand j'ouvre les yeux, que j'avais inconsciemment fermés, je me rends compte que je suis dans les bras d'un homme.

Mes yeux s'habituent à la lumière violente du soleil et je distingue les traits de l'inconnu que je reconnais aussitôt ! Il s'agit de l'homme que j'ai giflé deux heures auparavant !

- Et bien, vous vous êtes lassée de votre retraité du moment à tel point que vous êtes prête à vous jeter dans les bras du premier inconnu venu ?

Je suis tellement médusée que je mets un moment avant de lui répondre.

- Et vous, vous semblez aimer la violence puisque vous continuez à me provoquer !

- Ce n'est pas une pratique que j'ai l'habitude d'exercer mais avec vous je pourrais y prendre goût...

Il prononça ces derniers mots en se caressant lentement la joue sur laquelle on pouvait encore voir une légère trace rosée.

Je lui réponds avec un sourire ironique sur les lèvres.

- Continuez comme cela et je pourrais renouveler l'expérience.

J'accompagne mes mots d'une moue boudeuse. Bien que ses mots soient encore insultants, il en ressort une touche d'humour et de malice qui me plaît.

Je le sens bouger légèrement entre mes cuisses et réalise que je suis encore avachie sur lui. Je me relève brusquement et serais tombée dans ma précipitation s'il ne m'avait pas retenue par la main.

- Permettez moi de me présenter tout de même. Je m'appelle George. Je travaille ici au château.

- Rose. Rose Deschamps.

Je ne trouve rien de plus à ajouter. J'imagine que comme les autres l'association de mon prénom avec mon nom de famille va le faire rire.

Mais ce n'est pas ce qui se produit. Je vois juste un éclair de colère dans ses yeux. Il me répond alors d'un ton agressif :

- Vous êtes encore pire que ce que je croyais. Mon instinct ne m'a pas trompé, vous êtes comme les autres, vénale ! Au moins vous avez le mérite d'être mieux renseignée que les autres. Après tout votre nom importe peu. Vous savez où se trouve la sortie du domaine.

Avec un dernier regard de dédain il me tourne le dos et disparaît à l'intérieur du château.

Présent et passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant