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Nous avons terminé le repas en silence. J'essayais de trouver un moyen pour m'eclipser lorsqu'un valet est venu annoncer l'arrivée de la couturière.

Le marquis se lève et vient tirer doucement ma chaise. Il prend ma main et la pose sur son bras. Je comprends qu'il à l'intention de m'accompagner auprès de la couturière. Nous longeons le couloir devancés par le valet qui nous fait entrer dans un petit salon aux dimensions plus modestes que les autres pièces que j'ai pû voir de la maison  (si on peut l'appeler une maison).

Sur une petite table sont déposés plusieurs rouleaux de tissus de toutes les couleurs. Sur le dossier d'un fauteuil sont déroulés plusieurs mètres de dentelles aux différents motifs. Une petite femme aux formes généreuses habillée d'une robe bleu nuit simple mais d'une élégance discrète discute avec Cecily tandis qu'une bonne enveloppe le torse de la jeune fille d'un tissu jaune paille à petites fleurs.

Lorsque Cecily nous aperçoit elle nous sourit avec des yeux pétillants de joie.

- Mon frère regarde quel tissu magnifique pour une robe de promenade !

Son frère s'incline devant elle et lui répond avec galanterie.

- Même en guenilles vous seriez la plus belle jeune fille d'Angleterre.

Puis se tournant vers la femme,

- Madame Bourgeois, c'est toujours un plaisir de faire appel à vous. En plus des quelques robes que vous commandera ma soeur, je voudrais que vous reconstituyez une garde robe complète pour ma cousine, Madame Deschamps et ce depuis le moindre mouchoir brodé, en passant par les corsets, robes de bal et tout accessoire nécessaire à compléter chaque toilette.

- C'est toujours un plaisir d'habiller les dames de votre famille et vous pouvez compter sur moi pour que rien ne soit négligé.

- Je n'en doute pas. J'aurais uniquement quelques requêtes plus urgentes. Il faudrait nous livrer au plus vite deux ou trois robes de jour ainsi qu'une tenue de cavalière. Dans un mois nous avons un dîner et il nous faudrait également une robe du soir. Je sais que les délais sont extrêmement courts mais je vous fais confiance.

- Je m'y attelle tout de suite votre Grâce.

Il se tourne alors vers moi et prend ma main qui était toujours posée sur son bras. Il l'effleure de ses lèvres et quitte la pièce.

Le reste de l'après midi s'écoule dans un tourbillon de tissus, de dentelles, de boutons et de perles. Lorsque Madame Bourgeois nous quitte je suis incapable de décrire la moindre des robes que nous avons choisies. Ou plutôt les tenues que m'a choisies Cecily. Elle a l'air de connaître les tendances de l'époque et d'avoir un goût très sûr en ce qui concerne la mode.

- Quel magnifique après-midi ! Je suis impatiente de voir le résultat de nos choix ! Et en plus nous irons â un dîner où nous pourrons sans doute danser ! Mon frère ne m'avait pas dit que nous avions reçu une invitation. Je me demande lequel de nos voisins nous a invités.

- Nous le saurons bientôt sans doute... Je voulais justement m'entretenir avec vous. Votre frère ma demandé de revoir avec vous la gestion de la maison. J'aurais aimé que vous me fassiez visiter les différentes pièces demain matin et je souhaiterais également rencontrer votre mère.

- Oh vous allez donc être mon professeur ?

Le beau visage de Cecily est renfrogné. De toute évidence elle voit cela comme une corvée.

- Je dois dire que je me voyais plutôt comme votre amie. Je comptais vous aider dans la gestion de la maison en échange de quelques leçons de danse. Cela fait tellement longtemps que je n'ai pas dansé que je crains avoir tout oublié.

- Bien sûr que je vous aiderai. Nous commencerons dès demain, me répond elle en tapant dans ses mains.

Son enthousiasme fait plaisir à voir. Cependant il me reste tout de même un point à éclaircir :

- Cecily ?

Je m'adresse à elle sur un ton hésitant. Je ne sais pas trop comment lui poser la question. Avant de trouver le moyen de rentrer chez moi, je dois m'intégrer au mieux afin qu'on ne me jette pas dehors. Elle se tourne vers moi l'air inquiet en attendant ma question.

- Il s'avère qu'avec tout ce qu'il m'est arrivé pendant mon voyage jusqu'ici j'ai complètement perdu la notion du temps. Pourriez-vous me dire quel jour sommes-nous ?

- Oh ce n'est que ça ? Vous m'avez inquiétée pendant un instant. Nous sommes le mardi 15 avril 1775. Je monte me préparer pour le dîner et vous ne devriez pas tarder non plus, mon frère déteste que nous soyons en retard.

Je la regarde hébétée tandis qu'elle quitte la pièce. Je me doutais que je ne me trouvais plus dans mon époque mais je m'imaginais que mon bond dans le temps ne m'avait pas fait remonter au-delà de 1850.

Je reste quelques instants sans bouger puis je me précipite à l'étage supérieur pour rejoindre ma chambre. Je vais directement dans l'armoire où sont entreposés mes vêtements. Sur l'étagère du bas sont pliés les habits que je portais à mon arrivée. À côté est posé mon sac à main. Je le prends et j'en vide le contenu sur mon lit. On y trouve pêle-mêle les clés de mon appartement, de ma chambre d'hôtel, un exemplaire d'Orgueil et Préjugés de Jane Austen, mon appareil photo numérique et enfin l'objet que je cherche : mon téléphone portable.

Je m'en emparé les mains tremblantes et l'allume. Ces quelques secondes me paraissent interminables. Je regarde fixement l'écran qui m'indique qu'il n'y a aucun réseau et surtout la date et l'heure de l'écran qui sont restées bloquées sur le moment où je me suis retrouvée en 1775.

Ce qui m'était apparu tout d'abord comme un rêve dans lequel je me plaisais semble bien trop réel tout à coup. Je me laisse tomber sur le fauteuil près de la fenêtre et reste un moment les yeux perdus dans le vide.

Je suis ramenée à l'instant présent lorsque ma femme de chambre entre discrètement. Elle se dirige vers l'armoire laissée ouverte pour en sortir ma robe pour le dîner. Je me lève et vais ranger les différents objets du XXIeme siècle éparpillés sur le lit.

Présent et passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant