27

80 9 2
                                    

Ce matin le petit-déjeuner est maussade. Personne ne parle et l'atmosphère est lourde. Le duc finit par rompre le silence.

- Je compte rentrer chez moi cet après-midi. J'aimerais avoir votre consentement pour revenir d'ici quelques jours.

- J'aimerais que nous ayons un entretien en privé. Quand vous aurez fini rejoignez moi dans mon bureau.

Sur ces paroles le marquis se lève et quitte la pièce. James et Cecily échangent un regard inquiet.

- Cecily, vous devriez m'accompagner pour une promenade. Cela vous changera les idées. Le duc nous rejoindra dans la roseraie lorsqu'il aura fini.

Cecily ne me répond pas tout de suite. Elle regarde James d'un air interrogateur. Il lui sourit.

- Vous devriez écouter Rose. Ça risque de prendre du temps et je n'aimerais pas vous imaginer faire les cent pas enfermée au salon.

- Très bien. Attendez moi Rose, je vais chercher mon châle dans ma chambre.

Elle quitte la pièce et je reste seule avec le duc.

- Nous savons tous les deux que cette conversation risque d'être violente. C'est gentil à vous de l'éloigner.

Je lui souris.

- J'ai essayé de vous aider en lui parlant hier soir. J'espère que ça aura calmé sa colère. Cependant il avait l'air de m'en vouloir plus qu'à vous deux.

- Rose, lors de mon séjour à Londres j'ai découvert que la vraie Rose Deschamps est décédée lors du naufrage. Bien entendu j'ai fait des recherches car je ne voulais pas y croire mais j'ai retrouvé la femme de chambre qui l'accompagnait et qui a identifié son corps. A mon retour j'ai fait part de ma découverte à Alexander en lui rappelant le bien que vous aviez fait à cette famille afin de l'empêcher de vous chasser sur le champ. Il était d'accord pour vous laisser une chance de lui dire la vérité. Ne tardez plus, il y a droit.

- Je ne sais pas comment la lui expliquer car moi-même je ne la comprends pas. Cependant je peux au moins vous dire que je ne mens pas sur mon nom. Je sais que ça paraît incroyable mais mon nom est vraiment Rose Deschamps.

- Je vous crois cependant ce n'est pas moi qui ait besoin de cette vérité. Je sais que votre estime l'un pour l'autre s'est développée ces dernières semaines. Vous avez tous les deux besoin de cette discussion.

La porte s'ouvre avant que je ne puisse lui répondre. Je rejoins Cecily et nous partons nous promener dans la roseraie.

Les minutes passent et le duc ne vient pas nous rejoindre. J'essaie de rassurer Cecily qui cède de plus en plus à la panique. Et si son frère avait chassé le duc ? Moi même, je commence à perdre espoir.

Après une bonne heure d'attente nous voyons enfin le duc se diriger vers nous. Cecily se lève d'un bond et se tord les mains en l'attendant.

Lorsqu'il arrive à nos côtés Cecily a un hoquet de surprise. Le duc a un œil rouge qui commence à gonfler.

- Oh mon dieu, il vous a frappé !

- Ce n'est rien ne vous inquiétez pas. Asseyez vous, je vais vous raconter notre entretien.

Il la pousse gentiment vers le banc où nous étions assises avant son arrivée. D'un signe de tête il m'invite à en faire de même.

- Tout d'abord, votre frère m'a donné un coup de poing car j'ai osé séduire sa petite sœur. Ensuite il m'a expliqué que je ne serai plus autorisé à passer la nuit sous son toit pendant les six prochaines semaines. Je serai seulement autorisé à vous rendre visite à l'heure du thé.

- Mais c'est injuste ! Et que se passera-t-il au bout de ces six semaines ? Nous ne serons plus autorisés à nous voir ?

- Pas tout à fait.

- Quoi alors ?

Cecily se lève et fait les cent pas. Elle est sur les nerfs.

- Dans six semaines je ne serai plus soumis à ces règles car nous serons mariés.

Elle s'arrête alors et le regarde les yeux écarquillés.

- Il a donné son accord ?

Il lui répond d'un simple hochement de tête. Elle crie de joie et se jette dans ses bras.

Je me lève à mon tour et les félicite à tour de rôle. Je les laisse seuls et me dirige vers le bosquet au fond du parc.

Ma mission est terminée. Cecily a enfin sa part de bonheur et je n'ai plus aucune raison valable pour ne pas rentrer chez moi. Je me dirige au pied de l'arbre où je m'étais réveillée lors de mon arrivée. Je pousse un soupir et touche le tronc de mes deux mains. Je ferme les yeux et me concentre sur ma vie, mon travail, mon appartement. Je reste ainsi pendant quelques minutes puis je rouvre les yeux. Je me tourne vers la maison mais je vois Cecily et James qui marchent dans la roseraie. Ça n'a pas fonctionné.

Je me frappe le front. J'étais assise adossée au tronc lorsque j'ai été téléportée ici. Je m'assois alors le dos contre le tronc rêche. Une nouvelle fois je ferme les yeux. J'écoute le bruit léger des feuilles secouées par la brise. Des oiseaux chantent sur une branche pas loin.

Je repense alors au bruit que ferait une voiture sur la route qui existera pas loin. Je revois mon petit deux pièces dont le robinet fuit depuis deux ans mais dont le propriétaire se fiche. Je repense à mon travail pour lequel je suis compétente mais dans lequel je ne m'épanouis pas. Je prends la décision de chercher un nouvel emploi dès mon retour. Je repense à ma bibliothèque qui croule sous les livres mais surtout aux étagères consacrées aux oeuvres de Jane Austen et à tous les autres romans qui ont été inspirés de près ou de loin par ses écrits.

Je repense aux bons moments que j'ai passés ici. Je me rends compte que le marquis est dans chacun d'eux. Je repense à ce sentiment d'avoir été vraiment utile pour une fois et d'avoir aidé des personnes qui en avaient besoin. La marquise a presque retrouvé une vie normale et Cecily va épouser l'homme qu'elle aime et qui l'aime en retour.

Cette fois ci j'en suis sûre : c'est le moment de partir. J'imagine cette maison où plutôt ce château tel qu'il sera dans le futur...

- Que faites vous par terre ? Vous vous sentez mal ?

Je rouvre brusquement les yeux et les ouvre et referme plusieurs fois avant de reconnaître le marquis. Je regarde autour de moi et réalise que je suis toujours là. Je ne suis pas rentrée chez moi.

Je me relève en m'appuyant à l'arbre et me passe une main sur le visage. J'étais persuadée que j'étais en train de rentrer chez moi.

Cependant je suis étrangement soulagée d'avoir raté mon retour. Il me reste une dernière conversation à avoir avec le marquis.

Présent et passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant