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Le dîner était un peu long et il y avait à manger pour une centaine de personnes. Il y avait en tout cinq plats différents et une profusion de desserts. Je n'ai pas reconnu tous les aliments qui ont été déposés dans mon assiette par un valet mais la nourriture n'était pas mauvaise.

Cecily et le marquis présidaient chacun installé à une extrémité de la grande table. James et moi étions installés à droite de notre hôte et le couple du voisinage face à nous.

Tout le long du dîner le marquis m'a totalement ignorée. Son regard ne s'est pas posé sur moi une seule fois. Cependant James s'est avéré un compagnon très divertissant. Il m'a raconté plusieurs anecdotes sur sa jeunesse qui m'ont fait rire aux larmes. Tant et si fort que le marquis a daigné me jeter un regard plein de désapprobation. Peut-être qu'en ce temps là il était interdit de manifester si ouvertement son amusement.

Après ça il m'a ignorée jusqu'à la fin du repas ainsi que pendant le moment que nous avons passé au petit salon pendant que Cecily nous jouait un morceau au pianoforte. Je suis restée assise sur un fauteuil à l'admirer jouer pour nous. Le marquis, James et le bonhomme bedonnant sont restés dans un coin à boire un quelconque alcool qu'ils n'ont pas proposé aux femmes. J'aurais bien eu besoin d'un verre à ce moment-là.

A la fin de son petit récital Cecily s'est levée et nous a fait une petite révérence. Elle est venue rejoindre son frère devant la porte. cela a semblé comme un signal pour le couple d'invités qui se sont eux aussi avancés vers la porte pour prendre congé.

C'est avec soulagement que j'ai vu l'homme et ses regards libidineux quitter les lieux. Il avait le don de me mettre mal à l'aise. Une ou deux fois j'ai cru comprendre que ses paroles contenaient des sous-entendus lubriques auxquels je ne souhaitais pas du tout répondre.

Une fois tous les quatre seuls dans le pièce, James s'est tourné vers moi et m'a pris la main pour un baisemain. Une fois de plus il l'a gardée un peu plus longtemps que nécessaire dans la sienne pendant qu'il prenait congé. De toute évidence il est invité à séjourner au château. Il a quitté lui aussi la pièce. Je m'apprêtais à inviter Cecily à me suivre (je n'étais pas sûre de réussir à trouver ma chambre seule) lorsque j'ai entendu le marquis lui parler sur un ton qui m'a surprise :

- Une fois de plus Cecily je suis extrêmement déçu de la façon dont tu as organisé ce dîner ! Il n'a pas été servi à l'heure, les plats que je t'ai expressément demandés ne se trouvaient pas au menu et le service a été déplorable. Tu ne seras donc jamais capable de diriger cette maison ?

Mon sang n'a fait q'un tour dans mes veines lorsque j'ai vu les yeux de Cécily se remplir de larmes. Elle a baissé les yeux et a demandé pardon en s'enfuyant de la pièce. Lorsque la porte s'est refermée derrière elle, je me suis retrouvée seule dans le salon avec le marquis et ma colère a éclaté :

- Comment osez-vous lui parler sur ce ton ? Cette jeune fille n'a pas été préparée à une telle charge. Bien sûr qu'elle commet des erreurs mais c'est ainsi qu'on apprend, en commettant des erreurs. Comment pouvez-vous être aussi mauvais avec votre propre sœur ?

- Dois-je vous rappeler que vous êtes une invitée dans cette maison ? Vous n'avez pas votre mot à dire sur la façon dont je gère ma famille et ma maison.

En prononçant ces mots il s'est approché de moi. Instinctivement je me suis reculée de plusieurs pas jusqu'à ce que je sois stoppée par le mur. Il a continué à s'avancer jusqu'à ce que me retrouve coincée.

- Vous devriez avoir honte de votre comportement. Comment pouvez-vous être aussi froid et dépourvu de compassion pour votre sœur ? Elle a besoin d'aide et de conseils et non de remontrances et d'être humiliée par son frère.

Il se colle alors à mon corps, sa poitrine écrasée contre la mienne. Il pose sa main droite à plat contre le mur et de sa main gauche me prend le menton. Il plonge ses yeux noirs dans les miens.

- Mme Deschamps, vous devriez apprendre où est votre place. Ici c'est moi qui commande. Vous devriez ne pas dépasser les limites si vous ne voulez pas que nous disions ou ne fassions quelque chose que nous pourrions regretter tous les deux.

A ces mots ses yeux sont descendus sur ma bouche et sur ma poitrine qui se soulève de façon saccadée. Il m'a caressé la joue de son pouce et j'ai senti son souffle sur mon visage. Pendant un instant j'ai cru qu'il allait m'embrasser mais il m'a brusquement relâchée et m'a tourné le dos. Il s'est dirigé vers la porte et m'a juste soufflé :

- Bonne nuit, Mme Deschamps.

Je me retrouve maintenant dans ma chambre, allongée sur mon lit. Je n'arrête pas de me retourner à la recherche du sommeil mais chaque fois que je ferme les paupières je revois deux yeux noirs qui me fixent.

Ces quelques secondes avec le marquis m'obsèdent et ce moment est l'un des plus érotiques que j'aie vécus même si rien ne s'est passé. Peut-être ai-je mal interprété ses mots et son attitude. Peut-être ses mots voulaient-ils simplement dire qu'il pourrait se montrer violent ? Mais je n'ai pas rêvé sa caresse sur ma joue. Et s'il m'avait embrassée, comment aurais-je réagi ?

Arrête Rose de prendre tes désirs pour la réalité. Tout ce qui se passe ici est le fruit de ton imagination. A ton réveil tu auras quitté les lieux. Ce rêve a l'air très réel mais il est rationnellement impossible qu'il soit vrai.

Je me retourne une dernière fois dans mon lit et sombre tant bien que mal dans le sommeil.

Présent et passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant