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Le marquis me mène en silence dans le couloir et s'arrête devant une porte à double battant. Il frappe et entre. Lorsque je pénètre dans la chambre, la première chose qui me frappe est la pénombre qui y règne. J'aperçois Cecily assise aux côtés d'une femme entre deux âges allongée au milieu d'une profusion de coussins. Elle tient un livre dans sa main et semble lui faire la lecture à la lueur de la bougie. La première pensée qui me vient est de trouver ça absurde étant donné le soleil qui brille à l'extérieur et qui est caché par de lourds rideaux.

Je remarque alors que tous les regards sont tournés vers moi. Je m'avance alors vers la femme qui se tient dans le lit et lui fais une petite révérence.

Le marquis prend alors la parole :

- Mère, permettez-moi de vous présenter notre parente qui séjournera chez nous pour quelques temps, Mme Rose Deschamps. Comme vous savez nous avions perdu espoir de la voir arriver suite au naufrage du navire dans lequel elle a fait la traversée depuis la France.

- C'est un honneur de vous rencontrer Mme la marquise et j'espère ne pas abuser de votre hospitalité.

Lorsqu'elle tourne la tête vers moi je remarque une légère asymétrie sur son visage. Alors que le côté gauche de sa bouche se redresse pour m'adresser un sourire le côté droit reste étrangement figé.

- C'est toujours un plaisir de recevoir des invités dans cette immense maison, surtout depuis ma maladie. On peut dire que la compagnie n'est que peu variée depuis que je ne quitte plus cette chambre.

Je comprends chacun de ses mots assez distinctement bien que son élocution soit un peu traînante s'apparentant à la voix pâteuse de quelqu'un qui aurait bu plus que de raison. C'est alors que je comprends de quel mal souffre cette femme. L'asymétrie de son visage dont le côté droit a des traits tombants et son impossibilité de se déplacer me mettent la puce à l'oreille. S'il s'avère que la marquise a subi un AVC comme je le pense, il est grand temps de tenter une rééducation avant que son état ne soit irréversible.

Dans la maison de retraite dans laquelle je travaille plusieurs de nos pensionnaires ont eu ce genre d'attaque. Si le cerveau ne se réhabitue pas très vite à faire fonctionner les membres touchés, la paralysie pourrait devenir définitive.

Cependant je ne comprends pas pourquoi la pièce est plongée dans le noir. Et visiblement elle n'est pas non plus aérée régulièrement vu l'odeur de renfermé qui y règne. Encore un mystère que je dois éclaircir.

- Puisque je vais être votre invitée pour plusieurs mois, me permettrez-vous de venir vous rendre visite tous les jours ? Nous pourrions bavarder ou je pourrais vous faire la lecture.

Le regard de la marquise semble s'illuminer et son drôle de sourire réapparaît sur son visage.

- Ce serait avec plaisir ma chère. Voyez-vous Alexander a bien essayé de me trouver une dame de compagnie mais aucune femme ne veut venir s'enterrer à la campagne et encore moins vivre enfermée dans le noir avec moi. Cecily vient me faire la lecture tous les matins et Alexander me consacre quelques instant l'après midi mais je manque cruellement de distraction.

- Pourquoi ne pouvez-vous pas voir la lumière du jour ? Il fait un soleil radieux aujourd'hui, vous pourriez en profiter en ouvrant les rideaux et les fenêtres pour faire entrer l'air chaud et parfumé de cette journée de printemps.

Les traits du visage de la marquise s'affaissent et d'un coup il devient à nouveau symétrique mais n'exprime plus que la tristesse.

- Depuis mon malaise le médecin dit que j'ai attrapé une maladie transmise par l'air et la lumière extérieurs. Il a donc ordonné que je sois le moins possible exposée aux courants d'air et à la lumière du soleil.

Présent et passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant