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Cela fera bientôt trois semaines que le marquis est parti. Son séjour à Londres est bien plus long que prévu. Je commence à nourrir de l'inquiétude et me demande s'il n'aurait pas été attaqué pendant le trajet. Est-ce qu'il se pourrait qu'il agonise dans un fossé ?

Afin d'effacer ces sombre pensées de mon esprit je me suis jetée à corps perdu dans mes tâches domestiques. Toute la maison brille comme un sou neuf. Les jardiniers ont remis en état les allées du jardin et j'ai fait nettoyer le petit bassin caché derrière les arbres. Maintenant il ne reste plus qu'à terminer de tailler les haies. Quand le marquis rentrera il aura du mal à reconnaître son domaine.

La marquise aussi à bien progressé. Elle arrive à se déplacer seule dans sa chambre et utilise de nouveau sa main droite. A force de compagnie et de bavardages son élocution s'est améliorée et l'asymétrie de son visage s'est atténuée.

Je me réjouis de tous ces progrès dans mes tâches mais je ne peux m'empêcher d'attendre avec impatience le retour du marquis afin que lui-même le remarque.

Un après-midi alors que nous prenons le thé avec la marquise dans sa nouvelle chambre nous entendons les sabots d'un cheval qui stoppe devant la porte. Toutes trois levons la tête aux aguets. Serait-ce le marquis ?

Hélas nos espoirs sont vite déçus lorsqu'une bonne entre et nous annonce l'arrivée d'un visiteur.

- Le duc Arlington, votre grâce.

- Faites-le entrer, ordonne la marquise.

Le duc entre en tenue de cheval. Il nous salue avec son air jovial habituel.

- Veuillez me pardonner de me présenter ainsi à l'improviste mais j'espérais trouver le marquis à mon arrivée. Vos gens m'ont informé qu'il n'était pas encore rentré de Londres.

- En effet il n'est pas encore arrivé mais nous l'attendons d'un jour à l'autre. Vous savez cher James que vous êtes toujours le bienvenu.

- Merci de votre accueil votre grâce. Toutefois je ne veux pas abuser de votre hospitalité. Je me suis juste arrêté afin de vous saluer mesdames. Maintenant que c'est chose faite je vais prendre congé.

Je remarque qu'en disant ces mots le duc ne peut s'empêcher de regarder discrètement Cecily. Elle a gardé les yeux baissés sur sa tasse de thé le temps de l'échange entre sa mère et le duc, cependant, à l'annonce de son départ elle relève la tête et s'exclame :

- James vous ne pouvez pas partir maintenant ! Bientôt il fera nuit et vous savez qu'il est dangereux de chevaucher dans ces conditions. Je suis sûre que mère ne voit aucun inconvénient à ce que vous sejourniez chez nous cette nuit voire plus en attendant le retour de mon frère.

- Cecily à raison. Faîtes nous le plaisir de rester jusqu'au retour d'Alexander.

- Je ne vois pas comment je pourrais refuser une si aimable invitation.

L'affaire était donc réglée et James restera jusqu'au retour du marquis. J'avoue me réjouir de la nouvelle. Les soirées en tête-à-tête avec Cecily commençaient à nous peser à routes deux.

Nous finissons tous par aller nous préparer pour le dîner. Le duc à été installé dans sa chambre habituelle dans l'aile réservée à la famille.

Nous nous retrouvons tous les trois pour le dîner, la marquise n'étant pas encore assez rétablie pour quitter sa chambre. Le dîner est très agréable avec un compagnon de table comme James. Lorsque le dîner est terminé Cecily prend congé et nous restons tous les deux un verre d'alcool à la main.  J'ose alors poser la question que j'ai sur le bout de la langue depuis quelques heures.

- Si je puis me permettre, j'ai cru comprendre que vous étiez à Londres ces derniers jours ?

- Oui en effet. Je suis passé directement par ici en retournant à mon domaine.

- Donc je suppose que le marquis a quitté Londres avant vous puisque vous vous attendiez à ce qu'il soit chez lui.

- Et bien je dois reconnaître que vous êtes perspicace.

- Devons-nous nous inquiéter du fait qu'il ne se soit pas encore présenté chez lui ?

- Comment formuler ça de manière élégante ?

- Je vous rappelle que je suis pas une jeune fille innocente. Vous pouvez parler librement.

- Très bien. Il voit une femme, une actrice, depuis plusieurs mois. Habituellement il séjourne chez elle discrètement deux ou trois jours avant de rentrer mais cette fois-ci il a dû s'attarder un peu plus longtemps.

- Bien. Je craignais que quelque chose lui soit arrivé. Me voilà l'esprit tranquille dans ce cas.

Nous bavardons quelques minutes puis je prends congé et monte dans ma chambre.

De manière inexpliquée je me sens en colère et jalouse. Pourtant je n'ai aucun droit sur cet homme. Et de plus, il ne me plait pas vraiment. Il est colérique, autoritaire et macho. Ce n est pas parce qu'il m'a embrassée sous le coup de la colère afin de me faire taire qu'il y a quoi que ce soit entre nous. Et puis bientôt je trouverai un moyen de rentrer chez moi.

Je dors mal cette nuit. Je suis réveillée à plusieurs reprises par des rêves sans queue ni tête. Le marquis occupe tellement mes pensées que je crois l'entendre rentrer au milieu de la nuit. Décidément je dois vraiment trouver le moyen de rentrer chez moi avant que je ne devienne complètement folle.

Je me réveille tôt et me prépare pour mon habituelle promenade matinale. Je me promène au milieu des rosiers et m'éloigne de la maison en direction du petit bassin que j'avais découvert caché derrière les arbres et les buissons. Je suis heureuse de constater que le lieu est totalement remis en état. Je m'assois sur le petit banc de pierre et admire la vue sur le jardin. Je suis tirée de ma rêverie par un intrus.

- Bonjour Madame Deschamps. Vous êtes bien pensive ce matin.

Je me lève brusquement comme prise en faute et fais une révérence au duc qui se tient devant moi.

- Bonjour Monsieur. Je suis tellement admirative de cette propriété que je ne vous ai pas entendu approcher.

- Depuis que vous avez repris la maisonnée en main nous devons tous admettre que le changement est flagrant.

- Je n'ai pas fait tout cela seule. Cecily y est pour beaucoup. L'homme qu'elle épousera aura beaucoup de chance.

Son visage se crispe sur mes dernières paroles. Mon instinct ne me trompe pas. Il est amoureux de Cecily.

- J'espère qu'elle trouvera un bon mari. Quelqu'un de bon, de généreux et compréhensif. Surtout un homme qui l'aime vraiment. Un homme comme vous.

Il est choqué par mes derniers mots. Il réfléchit et finit par me répondre.

- Elle est la soeur de mon ami. Je ne me permettrai jamais de trahir sa confiance.

Je m'avance vers lui et lui prends la main :

- Le principal est que vous soyez heureux tous les deux, en voyant cela votre ami ne peut qu'approuver cette union. Reflechissez-y .

Nous restons ainsi quelques instants main dans la main. Lui le regard perdu et moi qui lui souris d'un air encourageant.

C'est alors qu'une voix furieuse nous interrompt :

- On dirait que j'arrive au mauvais moment...

Présent et passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant